Françoise Dolto, une pensée révolutionnaire
Françoise Dolto, une pensée révolutionnaire
Françoise Dolto aurait eu 100 ans en 2008. Et pourtant, les idées, les théories et la pensée de cette formidable psychanalyste sont toujours autant d'actualité. Elle est celle qui a donné à l'enfant son statut de Personne, qui a délivré les parents de bien des carcans, qui nous a appris que l'écoute et la communication sont à la base de notre épanouissement et de notre compréhension des autres et du monde.
Dans ce dossier, retrouvez les grandes idées clefs de sa pensée. Lisez les témoignages des psys qui ont travaillé et appris d'elle. Et surtout, écoutez-la dans nos vidéos : ses propos sont toujours aussi saisissants et percutants. Et rafraîchissants
Françoise Dolto : une voix révolutionnaire par Claude Halmos
1976. Sur France Inter chaque après-midi un rendez-vous commence, qui va devenir pour des milliers de gens incontournable. Un rendez-vous avec une voix, des mots qui ne ressemblent à rien de ce que l’on a entendu jusque-là.
Claude Halmos est psychanalyste et écrivaine. Elle a travaillé avec Françoise Dolto dont elle est aujourd'hui une spécialiste. Elle répond chaque mois aux questions des lecteurs de Psychologies.
La voix parle aux parents. Elle répond aux questions qu’ils lui posent sur les difficultés qu’ils rencontrent avec leurs enfants. Des difficultés du quotidien, partagées par tant de familles que l’on a tendance à l’époque à les considérer comme inévitables et quasiment banales.
Chose étonnante : la voix, elle, les prend au sérieux. Elle les étudie dans le moindre détail et, sans jamais user d’aucun jargon scientifique, elle explique ces difficultés. Et, chose plus étonnante encore, elle le fait en posant qu’elles sont dues à la complexité de ce qui se passe dans la tête de l’enfant. Elle affirme que celui-ci pense, imagine et souffre tout autant qu’un adulte ; que ses oppositions et ses refus ne sont pas de simples caprices dénués de signification mais une façon d’exprimer ce qu’il ressent. Et peu à peu dans les têtes une révolution s’opère. Car patiemment, tranquillement mais avec une détermination sans failles, la voix chaque après-midi bouleverse un ordre établi depuis des générations. Elle met à mal la hiérarchie communément admise entre un enfant posé comme psychologiquement sous-développé (« tu comprendras plus tard », « tu parleras quand tu seras grand ») et un adulte qui lui serait par essence supérieur.
Faire entendre l'enfant
Et la voix fait mouche. Elle conquiert jour après jour de plus en plus d’auditeurs. Et elle le fait d’une étrange façon. Car ce n’est pas par l’intellect seulement qu’elle emporte leur conviction. Mais parce que, les prenant par surprise, elle fait résonner en eux une drôle de petite musique qu’ils croyaient avoir oubliée et qui vient de très loin….
Contrairement à d’autres en effet la voix ne se contente pas de parler des enfants, elle les fait entendre. Et telle une cinéaste elle les montre, les met en scène. Réussissant ce prodige de replonger chacun dans sa propre enfance. Une enfance qu’il ne peut plus, comme il en a l’habitude, conjuguer au passé et dont la distance, mise par le souvenir, émousse les arêtes vives. Mais une enfance au présent dont il revit, intactes, les joies, les peines, les peurs, les questions. Porté par la voix, l’auditeur chaque après-midi retrouve l’enfant qu’il fut. L’intensité des retrouvailles avec cet enfant l’assure que ce que dit la voix est vrai. Et l’attache d’autant plus à elle qu’elle offre enfin, à ce lui-même d’autrefois, les mots qu’il aurait tellement voulu entendre.
Entre la voix et les auditeurs, une histoire d’amour se tisse…
La faculté d'écouter
La voix est celle d’une psychanalyste. Elle s’appelle Françoise Dolto. Et sa réputation dans le monde de la psychanalyse n’est plus à faire. Son écoute exceptionnelle est devenue, chez les professionnels, légendaire. On parle d’elle comme d’une devineresse. Mais cette écoute n’est pas seulement exceptionnelle. Elle est aussi exceptionnellement originale. Les analystes en effet, même les plus attentifs, écoutent toujours les enfants avec une distance. Car le mode d’être, de sentir, de penser de ces derniers est, aux adultes qu’ils sont, devenu étranger. Cela ne les empêche nullement d’entendre leur problématique inconsciente car elle ne diffère pas, pour l’essentiel, de celle de leurs aînés. Mais cela les conduit à considérer certains « détails » comme mineurs. Une tempête dans le monde des « petits » n’est souvent perçue par les « grands » que comme une simple goutte d’eau….
Françoise Dolto, elle, avait la capacité – unique – d’écouter les enfants comme si elle était elle-même encore une enfant ; la faculté d’entendre l’importance et le sens du moindre de leurs gestes et de leurs phonèmes. Elle ne les écoutait pas en « grande personne », de loin et de haut, elle les écoutait « à hauteur d’enfant ». Ce talent singulier lui a permis de reconstituer avec précision ce que chaque étape de leur développement leur faisait éprouver dans leur corps et leur tête. Ce qu’à chaque moment de leur vie ils pouvaient, à l’insu des adultes, sentir, penser, imaginer.
L'exploratrice
Son œuvre s’apparente à celle d’une ethnologue qui aurait, pour le connaître, longuement étudié un peuple. Exploratrice d’un genre nouveau, elle a « découvert » l’enfance et transmis sa découverte aux psychanalystes, mais aussi au public. Car elle voulait que la société reconnaisse à l’enfant un statut d’être à part entière.
Cette volonté a fait dire à certains qu’elle avait promu des « Enfants-Rois ». C’est une erreur grossière. L’enfant que promeut Françoise Dolto n’a rien d’un Roi ni d’un tyran bien au contraire. Elle ne cesse de rappeler à ses parents le devoir qu’ils ont de lui apprendre à se soumettre aux lois du monde, le devoir qu’ils ont de l’éduquer et va même plus loin. Car ce n’est pas pour elle parce qu’on lui donne des droits qu’un enfant devient un « Sujet ». Mais parce que, cessant de tout lui permettre au motif qu’il serait encore « petit », on lui donne le droit…. d’avoir les mêmes devoirs que les autres. Vérité qu’il serait utile de méditer….
L’œuvre de Françoise Dolto est donc à lire et à relire. D’abord parce que, véritable mine d’or, elle offre le moyen de décrypter des souffrances d’enfants ou d’adultes qui pouvaient sembler incompréhensibles. Mais surtout parce que le statut qu’elle donne à l’enfant est aujourd’hui plus que jamais remis en cause. Des théories d’un autre siècle ressurgissent, qui, parées des plumes de la modernité, prônent la frustration sans explications. Et apportent un providentiel soutien à tous ceux qui, dans la société, vilipendent l’éducation et préconisent, à l’égard des mineurs, la pure et simple répression.
Comment la lire ? Avec quelle méthode ? Sans méthode et au hasard. Celui qui permet les rencontres. Ouvrez ses livres… Lisez quelques lignes… ou quelques autres. Et attendez qu’elles vous parlent. Comme nous parlent les rencontres quand elles comptent : en faisant résonner une part de nous-mêmes que nous ne connaissions pas.
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Françoise Dolto : La vie d'une femme libre
Biographie de Françoise Dolto.
BIOGRAPHIE
6 novembre 1908 : Naissance de Françoise Marette à Paris au sein d'une famille bourgeoise qui compte déjà trois enfants : Jacqueline, 6 ans, Pierre, 5 ans et Jean, 2 ans.
Jusqu'à l'âge de 6 mois une jeune irlandaise s'occupe d'elle en alternance avec sa mère. Celle-ci est brutalement renvoyée lorsqu'on se rend compte qu'elle vole et qu'elle se rend dans un hôtel de passe luxueux où circule de la cocaïne. A son départ, la petite Françoise contracte une double broncho-pneumonie gravissime dont elle manque mourir.
1913 - Naissance de Philippe, son 3ème frère.
1915 - Naissance de André, son 4ème frère.
Durant son enfance, Françoise plusieurs dons artistiques, elle apprend le violon, dessine, peint et songe à devenir céramiste.
1920 - Mort de sa sœur Jacqueline, belle blonde aux yeux bleus, adorée par la mère, d'un cancer osseux fulgurant. Deuil pathologique de la mère qui reproche inconsciemment à Françoise de n'être pas morte à la place de Jacqueline.
1922 - Naissance de Jacques, son 5ème frère.
Juin 1925 - Françoise obtient son bac malgré l'opposition de sa mère : « Une fille qui a son bac n'est plus mariable ».
1929 - 1930 - Etudes d'infirmière.
1931 - Toujours contre l'avis de sa mère, elle s'inscrit avec son frère Philippe en médecine.
17 février 1934 - Elle entreprend une cure psychanalytique avec René Laforgue alors qu'elle vient de rompre des fiançailles imposées par ses parents, rupture qui engendre, chez elle, des symptômes névrotiques dus à un terrible sentiment de culpabilité.
Juillet 1936 - Quitte enfin le domicile familial pour habiter seule, journée qu'elle ponctue par un seul mot dans son carnet : « Joie ».
20 juin 1938 - Adhère à la Société Psychanalytique de Paris.
11 juillet 1939 - Soutient sa thèse de médecine.
1er septembre 1939 - S'installe comme généraliste et pédiatre.
7 février 1942 - Mariage avec Boris Dolto dont naîtront trois enfants, Carlos, Grégoire et Catherine.
1940-1978 - Conduit des psychanalyses d'enfants à l'hôpital Trousseau, chaque mardi, de 9h à 14h, en présence d'un public d'une dizaine de médecins et d'analystes en formation.
1953 - Membre fondateur de la Société française de Psychanalyse.
1964 - Fonde, avec Jacques Lacan, l'Ecole freudienne de Paris.
Septembre 1976 - Début des émissions à France Inter Lorsque l'enfant paraît. Françoise Dolto devient célèbre dans la France entière.
1978 - Elle interrompt ses cures et ne reçoit plus que des analystes en supervision. Elle s'occupe alors à transmettre, donne des conférences, publie la plupart des ouvrages qu'on connaît aujourd'hui.
6 janvier 1979 - Ouverture de la première Maison Verte dans le XVe à Paris. C'est un lieu de socialisation destiné à aider parents et enfants à vivre sans souffrances ni traumatismes leurs futures séparations. Il existe aujourd'hui environ 200 Maisons Vertes en France et dans le monde (Arménie, Pologne, Russie, Japon).
Juillet 1981 - Mort de Boris Dolto
25 août 1988 - Mort de Françoise Dolto.
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