Les accros au sexe
Les accros au sexe
Existe-t-il des drogués du sexe ? La dépendance au sexe, virtuel entre autres, fait effectivement partie de la liste des addictions telle que reconnue par les spécialistes. Zoom sur un grand tabou.
par Hajar Dehhani
Le plaisir sexuel peut-il virer à l’obsession ? Malheureusement, oui. On peut devenir “sex addict” tout comme on pourrait être accro à la drogue ou à l’alcool. Nous sommes bien loin de l’image du Don Juan ou de la femme séductrice. Quand on est “accro” au sexe, le plaisir n’a plus sa place et on a des comportements sexuels jugés excessifs. Mais où s’arrête une sexualité “normale”, et où commence la dépendance ? “Il est vrai que dans une société “machiste” comme la nôtre, un homme qui a des relations sexuelles plus qu’à l’accoutumée est considéré comme un homme viril. Alors quand on dit qu’il y a souffrance derrière et que cette personne est peut-être malade, je pense que ce sont des choses dont on va prendre conscience petit à petit”, explique le Dr Imane Kendili, psychiatre et addictologue.
Symptômes
Ce qui définit l’addiction, c’est en fait la compulsion. La personne dépendante est une personne qui tente de résister à ses envies et qui n’y arrive pas. En ce qui concerne l’addiction sexuelle, le discours est généralement : “Je ne pense qu’à ça, je suis tout le temps sur Internet, je passe des heures devant des films pornographiques à me masturber, je n’hésite pas à multiplier les conquêtes, ça m’obsède”. La personne concernée va se focaliser sur une pratique particulière. Parfois, c’est le rapport sexuel lui-même, mais le plus souvent, “l’accro” se tourne vers des supports comme Internet ou les films pornographiques. Le besoin sexuel est impossible à maîtriser. Il devient même aliénant au point de conditionner tout le mode de vie. “La personne accro au sexe va voir toute sa vie tourner autour de son addiction, entraînant un véritable retrait social”, tranche d’emblée Imane Kendili. En effet, ces dépendants du sexe vont passer par différentes étapes au cours desquelles ils négligeront de plus en plus leur famille, leurs amis, leur travail. Au fur et à mesure que leur addiction se précisera, ils investiront tout leur temps et leur énergie dans des contacts sexuels répétés, dénués de tout investissement affectif. Plus ils seront pris par leur addiction, plus ils s’éloigneront de tous ceux qui n’entrent pas dans ce cercle vicieux. “Ces personnes vont aller, par exemple, vers les prostituées pour ne plus revoir leur partenaire le lendemain. Elles peuvent quasiment avoir une activité sexuelle à part entière à travers la masturbation compulsive. Il y a aussi la drague incontrôlée, qui fait partie des addictions sexuelles, et qui nourrit l’estime de soi de certaines personnes. Très souvent d’ailleurs, on revient à la compulsion dans ces cas-là”, précise notre addictologue.
L’addiction sexuelle semble concerner le plus souvent des hommes.”
Un cercle vicieux
Tout comme les addictions aux drogues, la dépendance sexuelle s’établit suivant un cycle de quatre phases. La première phase est la phase obsessionnelle, où le sujet addict est totalement absorbé par les préoccupations sexuelles. Ensuite, il y a toute une ritualisation du comportement sexuel qui se met en place. La troisième phase est celle durant laquelle le sujet exécute l’acte sexuel précis. Juste après, vient la phase d’abattement durant laquelle le sujet est envahi par un sentiment d’impuissance, une perte d’espoir. Sans oublier que la culpabilité associée à ce comportement l’incite à dissimuler ses pulsions à son entourage, et une vie secrète se crée alors, prenant le pas sur la vie publique. Pire encore, lorsque cette dépendance sexuelle s’intensifie, la vie ne se résume plus qu’à l’assouvissement de ce besoin. Ce trouble pourrait trouver son origine dans l’enfance. “On peut constater que la personne accro au sexe, précoce surtout, a subi un abus sexuel dans l’enfance”. Ce sont généralement des personnes d’une sensibilité extrême, qui ont grandi dans un environnement propice - des parents dépendants notamment. “Et puis si on n’a pas d’estime de soi, on va avoir besoin d’exister à travers autre chose. En tout cas, c’est une maladie à part entière”, tient à préciser Imane Kendili.
Internet… attention danger !
L’addiction sexuelle semble concerner le plus souvent des hommes. Selon notre spécialiste, “les femmes aussi peuvent développer des addictions sexuelles, mais très souvent, ce sont des hommes qui en souffrent le plus. Il y a très peu d’études là-dessus parce qu’il y a très peu de gens qui consultent. C’est encore tabou, quelle que soit la société”. Et pourtant, l’addiction sexuelle semble sortir de l’ombre. On ne vient pas consulter spécifiquement pour ce trouble, mais les cas se multiplient chez les spécialistes. “La personne est généralement en souffrance. Elle vient consulter pour une dépression ou pour une addiction avec substance. Et c’est en cours d’analyse qu’on retrouve qu’à la base, cette personne souffre d’une addiction sexuelle”, révèle Imane Kendili. La majorité sont accros au « cybersex » parce que l’accès à Internet au Maroc n’est pas cher ; voir des films pornographiques est donc très simple. “Des adolescents très jeunes risquent de devenir addicts sexuels à cause d’images de la sexualité qui sont totalement fausses. Ces ados ont l’impression que c’est la norme et risquent de traîner des complexes. On va par ailleurs voir d’autres personnes qui peuvent, pour la modique somme de 5 DH, voir des films pornographiques, avoir leur masturbation et bien sûr, une activité sexuelle virtuelle, qui n’est pas malsaine mais qui est génératrice de souffrance et de comportements déviants”, prévient notre spécialiste. Un danger à prendre au sérieux ! ■
“La plupart des cas au Maroc sont accros au “cybersex”, car l’accès au Net est le moins onéreux.”
: “Shame”, un film pour raconter la descente aux enfers
Il raconte l’histoire de Brandon, un trentenaire new-yorkais enfermé dans son addiction sexuelle. Incapable d’aimer, il arrive pourtant à plutôt bien vivre sa maladie. Quand sa soeur Sissy arrive sans prévenir et s’installe chez lui, Brandon a de plus en plus de mal à dissimuler sa vraie vie. Il tente à un moment de nouer une relation “normale” avec une collègue de bureau, mais n’y arrive pas. S’ensuit la honte et le mépris de soi-même de ne trouver aucune issue. Au-delà de la beauté du film, “Shame” laisse pourtant un goût amer à la fin parce que le héros n’arrive pas à se sortir de sa dépendance. Cependant, bonne nouvelle ! On peut guérir de l’addiction sexuelle. Paroles de spécialiste ! ■
: Il y a addiction si la dépendance a des répercussions sur la vie sociale de l’individu.”
■ Qu’est-ce que l’addiction sexuelle ?
L’addiction sexuelle ne se résume pas juste au fait d’être accro au sexe, et donc, d’avoir envie d’entretenir des relations sexuelles multiples ou à un rythme beaucoup plus élevé que le voudrait la normale. C’est aussi être accro aux images pornographiques. Elle est aussi liée à d’autres dérives comme la pédophilie, le fétichisme ou la masturbation compulsive. A noter qu’il peut y avoir une co-morbidité psychiatrique, notamment des troubles anxieux, ou carrément une pathologie psychiatrique avérée, comme les troubles bipolaires, les dépressions graves ou la schizophrénie. Les addictions sexuelles sont des dépendances comportementales tout comme les jeux d’argent, les jeux vidéos et les troubles du comportement alimentaire .
■ Le sexe devient-il alors une drogue ?
C’est le même système neurobiologique. Quand on est accro au sexe, c’est générateur d’une augmentation d’endorphine qui nous procure du plaisir, comme pour la drogue. A un moment, on va parler d’addiction parce qu’il y aura des répercussions sur la vie sociale de l’individu, sur son travail, sur sa vie de couple. La personne deviendra prisonnière d’un cercle vicieux, et ce sera pour elle la descente aux enfers.
■ Quelles peuvent être les conséquences sur le couple ?
Il va y avoir certains troubles de la personnalité. Certains tempéraments de femmes vont aller de pair avec l’addict. C’est comme les cas des femmes battues qui restent avec leur mari violent ou dépendant à l’alcool. L’addiction sexuelle est très souvent génératrice de violence dans le couple. Elle est aussi très souvent à l’origine de séparations. Il faut dire que l’addict sexuel est souvent solitaire. Sinon, il se cache du partenaire et mène une vie virtuelle ; ou bien son comportement sexuel va être exercé avec des partenaires qu’il ne va pas revoir le lendemain, et il maintiendra une vie normale dans son couple. Mais ce sont des choses qui vous rattrapent forcément.
■ Une addiction au sexe peut-elle déboucher sur une conduite agressive ?
L’addiction sexuelle peut effectivement mener à la violence physique dans le cadre du couple. Elle entraîne en fait une perte de contrôle totale. Elle est génératrice de culpabilité, ce qui engendre un comportement agressif vis-à-vis du partenaire qui partage généralement le secret. Mais on ne parle pas de son addiction sexuelle et on consulte très peu. Celle-ci peut même mener au suicide.
■ La prise en charge est-elle possible ?
Effectivement. C’est vrai qu’il n’y a pas beaucoup de professionnels au Maroc en matière d’addictions comportementales. On aura beaucoup plus de consultations en matière de jeux d’argent ou de troubles du comportement alimentaire que pour le sexe, qui reste tabou. On a beau essayer de parler des choses et vouloir soigner les maux à la base, c’est difficile. Pour lutter contre les addictions sexuelles, il faudrait déjà qu’on ait une éducation sexuelle dans les écoles. ■