Les maniaco-dépressifs plus exposés au VIH?

 

Les maniaco-dépressifs plus exposés au VIH?

 

 

Les troubles bipolaires pourraient représenter un facteur de risque d’exposition au virus du sida. Des chercheurs isolés tentent de faire reconnaître ces malades comme une population à risque. Une démarche qui ne fait pas l’unanimité, notamment chez les acteurs de la prévention, qui craignent un amalgame.

"Ils sont l’une des populations les plus touchées par le virus du sida." Vincent Trybou, psychologue clinicien au Centre des troubles anxieux et de l’humeur, ne parle pas des homosexuels ou des travailleurs du sexe, mais des maniaco-dépressifs. Il est spécialisé dans la prise en charge de ces malades, désormais appelés "bipolaires".

D’après lui, cette population, victime de troubles de l’humeur, s’expose à des risques accrus de contamination par le VIH. Les bipolaires alternent en effet entre périodes de dépression et d’excitation. "Lors de cette seconde phase, le cerveau est hyper-stimulé, ce qui peut entraîner une consommation d’alcool ou de drogue et une prise de risque, avec des rapports sexuels non protégés", explique Vincent Trybou.

Les études psychiatriques montrent que les bipolaires ont effectivement une tendance aux comportements risqués, tous domaines confondus, du fait notamment d’une intolérance à l’ennui. De concert avec l’association d’aide aux bipolaires Argos2001, Vincent Trybou s’évertue à plaider leur cause auprès des organismes de prévention sida.

"Indépendamment du virus et de ses modes de transmission, il y a des gens qui ont des profils à risque. Et cela ne concerne pas que la problématique des gays ou des toxicos. Le problème majeur en France, c’est que les organismes de prévention font une fixation sur les toxicomanie au détriment d’autres maladies, alors que les bipolaires ont une prévalence qui est plus élevée que la moyenne", se désole Vincent Trybou.

Un rapport du secrétariat du conseil exécutif de l’Organisation mondiale de la santé faisait état en 2008 de l’augmentation des risques de contraction du VIH chez les personnes souffrant de troubles mentaux. Le rapport estimait la prévalence dans cette population entre 5 et 23%, contre 0,3 à 0,4% dans la population classique.

Un tabou lié à la "réputation sale" des maladies psychiatriques

Pour Vincent Trybou, si cette population est oubliée de la prévention, c’est en partie parce qu’elle n’est pas visible : "On constate que les toxicomanes ont dans de nombreux cas un trouble de bipolarité. Mais la toxicomanie cache le trouble mental de départ." C’est aussi selon lui un tabou dû à la "réputation sale" des maladies psychiatriques :

"Le sida n’est alors plus liée à "la faute à pas de chance", mais à ce qui est considéré comme une tare. C’est déjà discriminant d’être séropositif, on ne peut pas en plus leur dire qu’ils sont maniaco-dépressifs", poursuit Vincent Trybou.

Comportement à risque, mais pas nécessairement contamination

Néanmoins, son combat ne fait pas l’unanimité et les acteurs de la prévention sont encore loin de considérer les bipolaires comme une population prioritaire. Tout d’abord parce que la surexposition à la prise de risque n’est pas synonyme de contamination.

"Dans la prise de risque, il faut évaluer non seulement l’acte non protégé, mais aussi le taux d’infection d’un milieu. Dans le milieu gay, le taux d’infection est relativement élevé par rapport au reste de la population, donc une erreur est bien plus vite sanctionnée. Chez les bipolaires, mais si les comportement sont risqués, les chances de contamination restent faibles", constate Jean-Maire Le Gall, responsable des projets de recherche à Aides.

Un point sur lequel le rejoint Nicolas Duchesne, psychiatre spécialisé dans les troubles bipolaires : "Les troubles bipolaires augmentent incontestablement plusieurs risques, dont la réduction de sécurité et la désinhibition sexuelle en phase maniaque. Le sida est heureusement relativement peu contagieux et je n’ai pas d’exemples dans ma clientèle de transmission due à cela."

Psychiatrisation et amalgame

La principale réserve du côté de Aides est la tendance à décrypter tous les comportements humains à travers le prisme psychiatrique : "On ne peut pas tout expliquer par des troubles psychiatriques. Le problème, pour les psychiatres et psychologues cliniciens, c’est que tout comportement irrationnel devient un trouble", dénonce Jean-Marie Le Gall. "Le milieu du VIH est particulièrement vigilent par rapport aux discours normatifs", poursuit-il.

Vincent Trybou regrette cette méfiance. Selon lui, la psychiatrie est injustement exclue du débat sur le VIH. Les responsable ? Les psy eux-même, qui, dans les années 80, ne se sont pas fait que des amis dans le milieu : "Certains psys expliquaient en quelques sortes que les malades du sida l’avaient cherché." Des hypothèses de causalité absurdes qui auraient décrédibilisé en partie le travail de la profession sur le sujet.

Jean-Marie Le Gall reste donc très prudent.

"Il y a une corrélation, mais pas nécessairement une causalité. Il y a toute une association de facteurs qui déterminent la prise de risque. Chaque situation est particulière. Face à l’emportement et au désir, les troubles bipolaires sont bien peu de choses. Ce n’est pas le trouble qui provoque le rapport : il y est simplement associé, dans un mélange de désir, de rapports de genre, de la trajectoire particulière de chacun, etc. Ce sont des comportements humains", analyse-t-il.

Si Aides ne nie pas l’exposition à des risques supérieurs pour les bipolaires par rapport au reste de la population, l’association craint une assimilation hâtive.

"Il faudrait un travail spécifique sur cette population, comme des publications scientifiques solides. Il faudrait aussi que les intervenants en santé mentale se soucient de la sexualité de leurs patients, ce qui est loin d’être le cas en France. C’est évident. Mais il serait absurde, à l’inverse, de chercher des troubles psychiatriques à chaque dépistage du VIH. Sinon, on renverse les choses et on crée un amalgame", prévient Jean-Marie Le Gall. Une analyse psychiatrique systématique du dépistage qu’appelle pourtant de ses voeux Vincent Trybou.

le 30 août 2010 à 14h37



10/04/2013
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