MANQUE ET PERE
MANQUE ET PERE
Mon père était une sorte d'ogre gentil quelquefois, qui passait sa vie sur les routes. On disait qu'il vendait des engrais pour faire pousser les blés, enfin tout ce qui pouvait pousser dans
Cette immense campagne de picardie où j'habitais.
On le voyait toujours affublé de ses grandes bottes, marchant à grandes emjambées, et il m'impressionnait d'autant plus que sa différence d'age avec moi était de 47 ans.. Presque un demi siècle..
En effet, il avait connu ma mère à 47 ans. Elle en avait 18, et je devais naitre un an après.
Nous ne le voyions que très rarement, une fois toutes les deux semaines environ, et il était pour moi un père absent malgré la formidable personalité qu'il incarnait pour moi, comme voyageur infatigable qu'il était, revant en reveur que j'étais aux contrées lointaines où il partait.
Et puis un jour un orage brutal éclatait. Je le vis surgir sur la route où nous nous promenions avec ma mère. J'avais 6 ans. Je me souviens qu'un homme que je ne connaissais pas parlait avec ma mère. Violences, coups de poings. L'inconnu fut roué de coups par mon père.
Puis retour à la maison. Coups à nouveau sur ma mère.
Elle recule vers les escaliers. C'est à ce moment que je crie, car je comprends qu'elle va basculer dans le vide. Qu'elle va se tuer.
Je me jette sur la ceinture de mon père qui se trouve sur le buffet et assène à mon père un formidable coup sur le front, et je vois une trainée rouge s'agrandir. Du sansg. Je suis stupéfait. Mes muscles tremblent.
Je suis terrorisé par ce que je viens de faire. J'avais l'impression de me condamner moi même.
Dix ans après, nous avons quitté la campagne et avons démenagé en ville, au Sud de Paris, à Fontainebleau.
Ma mère a changé. De gamine de 18 ans, de victime, elle est devenue une femme mûre de 30 ans. De villageoise, elle est devenue une femme qui n'a rien à envier aux bourgeoises de la ville. Elle est toujours courtisée comme elle l'était avant. Je découvre qu'elle a un amant. C'est le sous directeur de la prison de Fontainebleau. Je pense à mon père. Je suis dans une prison. Qui étrangle ma mémoire. Et son gardien est-il mon nouveau père ?. Etrange sensation. Honte de me mettre à la place de mon père.
Sensation que le drame a changé de coté. Ce père qui est presque devenu un vieillard maintenant. Il a presque 60 ans. Sensation qu'il souffre dans sa chair et son âme. Il sait qu'il est cocu.
Ma mère nous a élevé dans une tradition où le père est un mauvais père. Je souffre doublement.
Mon jeune frère pète les plombs. Il se retrouve à la prison de Fontainebleau à cause d'un vol de voiture à 16 ans. Le sous directeur de la prison qui est l'amant de ma mère vient souvent voir mon frère. Il le regarde avec un air étrange. Avec pitié. Il ne sait pas que j'ai mis mon frère au courant qu'il est maintenant face à l'amant de sa mère.
Cette mère qui l'a réeelment torturé enfant pendant 15 ans, et cet enfant qui est maintenant gardé par son nouveau père, le sous directeur de la prison. Ma mère est folle.
Mon frère devient fou. Définitivement fou.
Les disputes de mes parents se font continuelles. Ma mère a le dessus maintenant que mon père est vieux. Actes de vacheries inouies. Photos d'enfance de mon père déchirées, brulées. Pneus de sa voiture crevés. Je voudrais l'aider. Mais rien à faire, je suis paralysé.
J'ai 18 ans et le couple de mes parents éclate. Séparation. Je reste avec mon père. Je l'héberge dans mon appartement. Quelques temps. Et là je le découvre.
Profondeur. Il n'aime pas se confier. Il faut lui arracher les mots. Je le surprend à lire des magazines de cul. J'ai pitié de lui. Un vieillard qui a presque 70 ans. Il est seul. Mais je l'aime.
Je ne l'ai jamais aimé autant. Car je l'ai pour moi tout seul. Après toutes ces années où il était parti sur les routes.
Il me propose de reprendre son affaire. C'est le plus beau cadeau qu'il me fait. Mais je ne sais pas pourquoi, probablement parceque je rêve à être pilote de chasse, je refuse. J'ai honte.
Mais je n'en profite pas très longtemps.
Car je dois partir à l'armée. A Lyon.
Nous nous voyons rarement. Trop rarement. Je pense souvent à lui quand je suis à la caserne.
Il a tant de choses à me dire maintenant. Et moi aussi.
Je pars en mer sur un voilier et je suis surpris par une tempête et je vais être dans la tourmente pendant deux jours.
Je ne lui ai pas téléphoné le jour prévu, et il alerte les gardes côtes.
Il m'aime. J'en suis sur.
Je m'inquiète à mon tour. On doit l'opérer du coeur. Mais l'hôpital le renvoie chez lui car il y a une grève des médecins. Il me téléphone à Lyon. Il me dit qu'il est chez ma mère, et qu'elle veut le tuer. Il n'est pas bien. Je le trouve étrange, lui qui est si courageux.
Panique. Je téléphone à ma mère. Elle parait surprise. Et puis j'oublie quelques jours.
Coup de téléphone à nouveau. Ma mère m'apprend que mon père est mort. Son coeur qui devait etre opéré a laché. Il est mort en regardant la télévision. Sans souffrir. Seul.
Je sens un coup de fusil me claquer en plein cerveau. Je m'écroule en larmes. J'hurle. Pourquoi es-tu mort je pense.
Je me dis que j'aurais du aller le voir quand il m'a appelé à l'aide. Mais je l'ai abandonné. Je viens de le tuer une deuxième fois. Après le coup de ceinture sur le front.
La douleur me rend fou. Je sens que je deviens fou. Définitivement fou.
Alors que nous allions apprendre à nous aimer, à nous connaitre. A te connaitre..
Les huissiers du trésor public ne lui ont pas fait de cadeau. On a du refuser l'héritage, et sa voiture a été saisie. Elle est restée des mois sur le parking. A attendre la venue des huissiers. Je hais les huissiers.
De ses six enfants qui sont venus au cimetière, aucun d'eux, ni personne n'a acheté la moindre stèle, ni même une plaque tombale.
Sa tombe est celle d'un inconnu, d'un délaissé, d'un chien.
Il a laissé un mot dans sa poche avant de mourir.
Ma mère le retrouve.
Il dit "pardonne moi pour ce que j'ai fait".
Je dois lui acheter une stèle et y mettre sa photo, que je veux peindre moi même puisque je suis peintre.
Mais je n'y arrive pas. Je suis bloqué. J'ai honte.
Parce que je l'aime. Je l'aime trop.