Risque suicidaire de l’adulte : identification et prise en charge

 

Cours de psychiatrie du CNUP
COLLEGE NATIONAL DES UNIVERSITAIRES EN PSYCHIATRIE

Module 3  -  Question 44

 

Risque suicidaire de l’adulte :

identification et prise en charge

 

Rédaction : J.P. Kahn  -  Relecture : J.L. Terra

 

 

Objectifs :

 

1.       Connaître les principales données épidémiologiques concernant le suicide en France

2.     Connaître les différents facteurs de risque associés à un risque suicidaire

3.     Savoir évaluer et prendre en charge une personne en situation de crise suicidaire

 

 

PRESENTATION ET CONSIDERATIONS INTRODUCTIVES

 

Pendant longtemps, le corps social et les médecins avec lui, ont abordé le suicide sous un angle moral et philosophique, considérant que cet acte devait être assimilé à un péché et condamné, car contraire à la volonté divine, soit considéré, au contraire, comme l'ultime expression de la liberté individuelle. Actuellement dépénalisé, le suicide est plutôt abordé sur le plan phénoménologique, cherchant à en comprendre et à en expliquer les multiples déterminants. Les recherches tendent à intégrer actuellement différents facteurs de risque et précipitants de nature biologique, psychologique et sociale.

 

La France est actuellement l'un des pays industrialisés les plus touchés par le suicide et d'après les données de l'OMS de 1999 portant sur 97 pays, la France se situe entre le 11ème et le 20ème rang des pays ayant la plus forte mortalité suicidaire, avec près de 12000 décès par suicide par an. Le suicide représente ainsi la première cause de mortalité chez les adultes jeunes, avant les accidents de la route et, pour l'ensemble de la population, le suicide est la troisième cause d'années de vie perdues, après les maladies coronariennes et le cancer.

 

Ces données inquiétantes ont conduit la France, à partir de 1998, à l'instar de nombreux autres pays, à instaurer un Programme National pour la Prévention du Suicide, aboutissant à la mise en place de diverses mesures et programmes d'action pour la période 2000-2005. C'est ainsi que la prévention du suicide est l'une des dix priorités de santé publique définies par la Conférence Nationale de Santé ; par ailleurs, la crise suicidaire, sa reconnaissance et sa prise en charge ont fait l'objet d'une conférence de consensus et de recommandations, en 2001, disponibles sur le site de l'ANAES (www.anaes.fr). Enfin, un programme de formation à l'intervention et de sensibilisation des intervenants des champs sanitaire, éducatif, social et associatif est également piloté, à l'échelon des régions, par l'Agence Nationale d'Accréditation et d'Evaluation en Santé (ANAES).

 

La prévention et la prise en charge des risques et conduites suicidaires nécessitent d'énoncer quelques vérités simples et de se débarrasser de certaines idées fausses, mais fort répandues :

 

               1 : le suicide n'est ni un acte de courage ni un acte de lâcheté ; ce n'est pas non plus un choix librement consenti, mais une mauvaise solution pour un sujet ne pouvant trouver d'autre issue à une souffrance devenue insupportable ;

 

               2 : il est faux de croire que les personnes qui parlent de suicide ne passent pas à l'acte : huit personnes sur dix en parlent avant leur suicide ou tentative de suicide ;

 

               3 : parler ouvertement de suicide à quelqu'un ne lui donne pas envie de le faire ; au contraire ceci permet à la personne d'exprimer ses difficultés, sa souffrance, des idées dont elle a souvent honte et de se sentir entendue, comprise et momentanément soulagée ;

 

 

I : DEFINITIONS DES CONDUITES SUICIDAIRES

 

Il convient de les reconnaître et de les identifier, pour les prendre en charge, ainsi que la souffrance qui les accompagne et éviter un passage à l'acte aux conséquences fatales.

 

         1 : le suicide est une mort volontaire. Dürkheim (1897) l'a défini comme "la fin de la vie, résultant directement ou indirectement d'un acte positif ou négatif de la victime elle-même, qui sait qu'elle va se tuer". On parle de mortalité suicidaire et de sujets suicidés.

 

         2 : la tentative de suicide (TS) est plus difficile à définir, tant est variable l'intentionnalité suicidaire d'un sujet à l'autre ; Ce terme recouvre tout acte par lequel un individu met consciemment sa vie en jeu, soit de manière objective, soit de manière symbolique et n'aboutissant pas à la mort. Il ne s'agit donc pas d'un simple suicide raté. On parle de sujets suicidants et de morbidité suicidaire.

 

         3 : les idées de suicide correspondent à l'élaboration mentale consciente d'un désir de mort, qu'il soit actif ou passif ; ces idées sont parfois exprimées sous la forme de menaces suicidaires. On parle de sujets suicidaires.

 

Les conduites suicidaires comprennent les suicides, mais aussi les tentatives de suicide, certaines conduites  à risque s'apparentant à des "équivalents suicidaires" et les idées de suicide, pouvant survenir -ou non- au cours d'une crise suicidaire.

 

         4 : la crise suicidaire est une crise psychique dont le risque majeur est le suicide. Il s'agit d'un moment dans la vie d'une personne, où celle-ci se sent dans une impasse et est confrontée à des idées suicidaires de plus en plus envahissantes ; le suicide apparaît alors de plus en plus à cette personne comme le seul moyen, face à sa souffrance et pour trouver une issue à cet état de crise.

 

         5 : les "équivalents suicidaires"  sont des conduites à risque qui témoignent d'un désir inconscient de jeu avec la mort. Ces conduites, tout comme certaines lésions ou mutilations auto-infligées non suicidaires, ne doivent pas être abusivement considérées comme des tentatives de suicide.

 

 

II : EPIDEMIOLOGIE DU SUICIDE

 

Le suicide donne lieu, dans la plupart des pays, à la publication des statistiques officielles. Les méthodes de recueil sont en réalité très variables et on estime de manière générale que ces statistiques sous-estiment d'environ 20% le nombre des suicides. En France, elles résultent d'une part des certificats médicaux de décès et d'autre part,  des conclusions formulées par les médecins légistes après l'examen des morts suspectes ou violentes.

 

1 : L'autopsie psychologique est une méthode, née aux Etats-Unis dans les années 1960, dont le but initial était d'élucider les origines des décès pour lesquelles un suicide était suspecté, sans pouvoir être clairement affirmé comme un acte mortel auto-infligé et intentionnel. Elle repose sur une enquête à posteriori, conduite sur la base de l'interrogatoire des proches, l'analyse des sources médicales, le recueil d'informations  concernant les antécédents familiaux et  personnels, la psychologie de la personne décédée, son style de vie, ses relations et les événements ayant précédé la mort. Ces données sont confrontées aux données objectives relatives au passage à l'acte pour conclure – ou non – à l'existence d'un suicide. L'autopsie psychologique s'est rapidement révélée une méthode intéressante pour documenter l'existence de troubles psychiatriques ou somatiques et la nature des soins dont les personnes avaient bénéficié.

 

         2 : indices épidémiologiques du suicide  

 

Trois principaux indices sont utilisés :

 

¨        L'incidence du suicide : elle correspond au nombre de suicides répertoriés chaque année. Elle varie en France de 11000 à 12000 par an (1997), en rappelant que ce chiffre est sans doute sous-estimé de 20%.

 

¨        Le taux de suicide, ou mortalité suicidaire qui s'exprime en nombre annuel de suicides pour 100 000 habitants : il est, en France, de 20 à 24 pour 100 000 globalement, ce qui fait de la France un pays à forte mortalité suicidaire d'après l'OMS (1999).

 

¨        Le taux de mortalité prématurée, attribuable au suicide : il est de 9 à 10%, le suicide étant la 3ème cause de mortalité prématurée en France, après les maladies coronariennes et les cancers. Le suicide représente ainsi 10% des années de vie perdues avant 65 ans, soit autant que les accidents de la circulation ou les maladies cardio-vasculaires.

 

3 : données descriptives

 

¨        le suicide est trois fois plus fréquent chez l'homme que chez la femme. La mortalité suicidaire était en France, en 1995 de 31,5/100 000 chez les hommes et de 10,7/100 000 chez les femmes. Cette surmortalité masculine est observée dans tous les pays disposant de statistiques sur le suicide, à l'exception de la Chine.

 

¨        Le suicide augmente fortement avec l'âge, surtout chez l'homme et surtout après 75 ans.

 

ð     6% des suicides surviennent entre 15 et 24 ans,

ð     66% entre 25 et 64 ans

ð     28% chez les personnes âgées de 65 ans et plus

ð     Chez les adultes jeunes (25-34 ans) le suicide est la première cause de mortalité

ð     Chez les adolescents, il représente la 2ème cause de mortalité (16%), après les accidents de la circulation (38%).

ð     Le suicide est plus rare chez les sujets jeunes et peut être considéré comme exceptionnel chez l'enfant pré-pubère. (0,2/100 000 chez les 5-14 ans, chiffres 1994). Mais la notion de mort, chez l'enfant, ne peut être assimilée aux représentations qu'en ont couramment les adultes, une représentation construite de la mort, dans sa dimension d'irréversibilité, n'étant acquise qu'à partir de 8 ans.

 

¨        La mortalité par suicide varie selon le temps et le contexte géographique : La mortalité par suicide a montré une certaine stabilité jusqu'en 1975, suivie d'une forte augmentation d'indice (près de 40%) de 1975 à 1985, puis d'une légère diminution jusqu'en 1990, pour fluctuer entre 12000 et 11000 décès par an depuis. L'augmentation du suicide chez les jeunes a largement contribué à l'augmentation globale de l'incidence du suicide en France. Les données internationales concernant le suicide sont proches de celles décrites en France, mais il existe aussi des différences : en Angleterre par exemple, on a observé une réduction notable de l'incidence du suicide au cours des années 1960-1970. En France, il existe également des disparités régionales sensibles.

 

         4 : les moyens utilisés

 

¨        les modes de suicide les plus utilisés sont la pendaison (37%), les armes à feu (25%), l'intoxication par médicaments (14%) ; viennent ensuite la submersion-noyade et la précipitation d'un lieu élevé. Il faut signaler que la consommation d'alcool accompagne fréquemment les suicides par arme à feu.

 

¨        Conséquences pour la prévention : l'utilisation de ces moyens semble liée à leur disponibilité et à la réglementation les concernant, en particulier pour les armes à feu. C'est pourquoi, en termes de prévention, le contrôle de l'accès aux moyens de suicide et la diminution de leur potentiel létal représentent des aspects importants.

 

¨        Les "cibles" principales de la prévention du suicide, mais aussi les plus difficiles à atteindre, sont les hommes et les personnes âgées.

 

 

III : EPIDEMIOLOGIE DES TENTATIVES DE SUICIDE

 

         1 : problèmes méthodologiques

 

¨        Le recensement de la prévalence des tentatives de suicide (TS) est difficile car, contrairement aux suicides, il n'y a pas d'enquête systématique sur les TS Les enquêtes en population générale sont évidemment difficiles à mettre en place.

 

¨        Par ailleurs, malgré les recommandations de l'ANAES (2001), toutes les TS ne sont pas hospitalisées ou vues par un médecin. On estime que 30 % des personnes ayant commis une TS sont actuellement maintenues à domicile.

 

         2 : données descriptives

 

¨        Les TS sont estimées en France à 160 000 par an

 

¨        Le sex ratio des TS est l'inverse de celui du suicide : les femmes réalisent deux fois plus de TS que les hommes

 

¨        Effets de l'âge : les TS sont les plus fréquentes entre 15 et 35 ans et diminuent ensuite. Selon une enquête de l'INSERM effectuée en 1999, au moins 5,2 % des filles et 7,7 % des garçons âgés de 11 à 19 ans auraient fait au moins une fois une tentative de suicide.

 

¨        Des études conduites en population générale aux Etats-Unis permettent d'estimer la prévalence sur la vie entière des TS à 4,6 % chez les 15-54 ans (étude NCS, Kessler, 1999).

 

         3 : moyens utilisés

 

¨        90 % des TS résultent d'intoxications médicamenteuses volontaires. Les phlébotomies sont également fréquentes.

 

         4 : pronostic

 

¨        on note 40 % de récidives, dont la moitié dans l'année suivant la tentative de suicide.

 

¨        Il y a 1 % de mortalité par suicide dans l'année qui suit la TS (contre 0,02 % dans la population générale, soit 50 fois plus !).

 

¨        Il y a plus de 10 % de décès par suicide, au cours de la vie, après une première tentative de suicide. Un antécédent de TS est ainsi l'un des plus importants facteurs de risque de suicide.

 

 

IV : EPIDEMIOLOGIE DES IDEES SUICIDAIRES

 

¨        La prévalence des idées suicidaires a fait l'objet de plusieurs enquêtes récentes, permettant de situer le rapport des idées de suicide/TS autour de 4.

 

¨        En population générale, en France, lors d'un sondage réalisé par la SOFRES en janvier 2000, au domicile de 1000 personnes âgées de 18 ans et plus, représentatives de la population française, 13 % d'entre elles ont répondu par l'affirmative à la question : "vous-même, avez-vous déjà envisagé sérieusement de vous suicider ?"

 

¨        Chez les jeunes en France, 23 % des garçons et 41 % des filles de 15 à 19 ans ont rapporté avoir eu des idées suicidaires, soit un taux 4 fois supérieur à celui des TS (Choquet et Ledoux, 1994).

 

¨        La chronicité des idées suicidaires est un facteur de risque de passage à l'acte : celui-ci est de 40 % si les idées sont fréquentes, 15 % si les idées de suicide sont occasionnelles, 1 % en l'absence d'idées suicidaires.

 

¨        Le risque de passage à l'acte est augmenté quant il y a élaboration d'un plan suicidaire, c'est pourquoi la prévention du geste suicidaire passe par le repérage et l'évaluation des idées suicidaires.

 

 

V : FACTEURS DE RISQUE ET POPULATIONS A RISQUE

 

On appelle "facteur de risque" un facteur qui a été mis en relation  statistique avec la survenue d'un suicide, au niveau d'une population donnée. Il ne s'agit donc en aucun cas, d'un facteur individuel. Les facteurs de risque suicidaire sont en interaction les uns avec les autres et l'importance de leur effet va dépendre de la présence ou de l'absence d'autres facteurs.

 

Dans une perspective pragmatique et préventive Rihmer (1996) a proposé de les classer en trois catégories :

 

         1 : les facteurs de risque primaires

 

Les facteurs primaires ont une valeur d'alerte importante, au niveau individuel, ils sont en forte inter action les uns avec les autres et peuvent être influencés fortement par les thérapeutiques. Ce sont :

 

-         les troubles psychiatriques,

-         les antécédents familiaux et personnel de suicide et tentatives de suicide,

-         la communication à autrui d'une intention suicidaire

-         l'existence d'une impulsivité, facilitant le risque de passage à l'acte.

 

         2 : les facteurs de risque secondaires

 

Les facteurs secondaires sont observables dans la population générale. Leur valeur prédictive est faible en l'absence de facteurs primaires. Ils ne sont que faiblement modifiables par les thérapeutiques. Ce sont :

 

-         les pertes parentales précoces

-         l'isolement social : séparation, divorce, veuvage…

-         le chômage ou l'existence d'importants facteurs financiers

-         les "événements de vie" négatifs sévères.

 

 

         3 : les facteurs de risque tertiaires

 

Les facteurs de risque tertiaires n'ont pas de valeur prédictive en l'absence de facteurs primaires et secondaires et ne peuvent être modifiés, ce sont :

-         l'appartenance au sexe masculin

-         l'âge, en particulier l'adolescence et la sénescence

-         certaines périodes de vulnérabilité (phase prémenstruelle chez la femme, période estivale…).

 

         4 : les facteurs de vulnérabilité

 

On appelle "facteur de vulnérabilité" des éléments majorant les facteurs de risque précédemment décrits et pouvant contribuer, dans certaines circonstances, à favoriser un passage à l'acte suicidaire sous l'influence de facteurs précipitants. Il s'agit d'événements de la biographie passée, survenus souvent au cours de pertes parentales précoces, de carences affectives, de violence, de maltraitance ou de sévices…

 

         5 : les facteurs précipitants



05/11/2007
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