Romantisme - Partie 3

La Préface de Cromwell [modifier]

C’est à ces inepties que répondit la Préface de Cromwell (1827). Ce que Victor Hugo proclame dans ce manifeste célèbre, c’est le libéralisme dans l’art, c’est-à-dire le droit pour l’écrivain de n’accepter d’autres règles que celle de sa fantaisie ; c’est le retour à la vérité, à la vie, c’est-à-dire le droit pour l’écrivain de faire, s’il lui plaît, coudoyer le sublime par le grotesque, et d’envisager toute chose à son point de vue personnel. Résumant à grands traits l’histoire de la poésie, Victor Hugo s’exprimait en ces termes : «La poésie a trois âges, dont chacun correspond à une époque de la société : l’ode, l’épopée, le drame. Les temps primitifs sont lyriques, les temps antiques sont épiques, les temps modernes sont dramatiques. Le drame est la poésie complète. C’est au drame que tout vient aboutir dans la poésie moderne. Le caractère du drame est le réel. Le réel résulte de la combinaison toute naturelle de deux types, le sublime et le grotesque, qui se croisent dans le drame comme ils se croisent dans la vie et dans la création. Car la poésie vraie, la poésie complète est dans l’harmonie des contraires… Tout ce qui est dans la nature est dans l’art. »

Statue de Talma ornant l'hôtel de ville de Paris. Cet illustre tragédien (1763-1826) s'efforça d'introduire dans les œuvres classiques le sens de la vérité scénique et l'idée de la couleur locale.
Statue de Talma ornant l'hôtel de ville de Paris. Cet illustre tragédien (1763-1826) s'efforça d'introduire dans les œuvres classiques le sens de la vérité scénique et l'idée de la couleur locale.

Retour au vrai, expression de la vie intégrale, liberté dans l’art, furent les formules de l’école nouvelle, dont les adeptes tenaient depuis 1824 leur quartier général, leur « Cénacle », comme on l’a appelé, dans le salon de Charles Nodier, bibliothécaire de l’Arsenal, et dont Victor Hugo devenait désormais le chef incontesté.

La lutte au théâtre [modifier]

En s'attaquant dès le début au théâtre, Victor Hugo attaquait l'ennemi de front. Joignant l'habileté au talent, il eut soin de proclamer plus haut que ses adversaires les merveilles des maîtres passés, Corneille, Racine, Molière, qu'on lui opposait sans cesse. Tout ce qui pensait, tout ce qui avait encore soucis de la grandeur des lettres, comprit la portée du manifeste. Dans Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, nous trouvons le récit d'une conversation qui aurait eu lieu à cette époque entre le poète et Talma. Ce qu'y dit le grand auteur tragique est caractéristique : «L'acteur, n'est rien sans le rôle, et je n'ai jamais eu un vrai rôle. Je n'ai jamais eu de pièce comme il m'en aurait fallut. La tragédie c'est beau, c'est noble, c'est grand. J'aurais voulu autant de grandeur avec plus de réalité, un personnage qui eût la variété et le mouvement de la vie, qui ne fut pas tout d'une pièce, qui fut tragique et familier, un roi qui fût un homme… La vérité, voilà ce que j'ai cherché dans ma vie. Mais que voulez-vous ? Je demande Shakespeare, on me donne Ducis

Portrait de Alexandre Dumas
Portrait de Alexandre Dumas

Tout le monde en convenait : le besoin d'une littérature renouvelée se faisait sentir. L'empressement avec lequel le public se pressait à l'Odéon, où des auteurs anglais venaient donner des représentations des pièces de Shakespeare, en témoigne, car il fallait que l'opinion se fût nettement prononcé en faveur des idées nouvelles pour que l'on courût applaudir les rudes chefs-d'œuvres du poète anglais.

Mais autre chose était la représentation de chefs-d'œuvres étrangers, et autre chose celle de pièces nouvelles, conçues par des Français dans les même idées. On ne siffle par un livre, non plus qu'une préface ; c'était au théâtre que l'on attendait les nouveaux venus. Or Lamartine ne songeait pas au théâtre, non plus que Prosper Mérimée, dont le Théâtre de Clara Gazul était impossible à la scène, et que l'auteur se fût bien gardé d'y porter. C'était donc à qui ouvrirait le feu. Vigny allait se risquer par la traduction d'Othello, quand un jeune homme de vingt-sept ans, un inconnu, la veille encore secrétaire obscur du duc d'Orléans, obtint au théâtre Français un succès éclatant. En un jour, Alexandre Dumas était devenu célèbre ; son drame s'appelait Henri III et sa cour. La pièce est un peu lourde et a beaucoup vieilli, mais elle contenait assez de scènes osées pour soulever des orages. La grande scène du troisième acte, en particulier, où le duc de Guise, broyant les poignets de sa femme, la force à donner un rendez-vous à Saint-Mégrin, stupéfia la salle, et, l'étonnement passé, la conquit. Le succès fut inouï, éclatant. Les classiques, surpris n'avaient pu y parer. On put dire dès ce jour que la cause de la nouvelle école était gagnée.

La bataille cependant n'était pas finie. L' Othello de Vigny parut, et la critique aux abois en interprète ainsi dans un journal du temps de la première représentation : «On arrivait à la représentation du More de Venise comme à une bataille dont le succès devait décider d'une grande question littéraire. Il s'agissait de savoir si Shakespeare, Schiller et Gœthe allaient chasser de la scène française Corneille, Racine et Voltaire.» C'était de la mauvaise foi, mais de la bonne stratégie ; la question ainsi déplacée donnait raison à ceux qui la posaient. Mais en réalité il ne s'agissait pas de chasser les maîtres de l'art de leur Parnasse séculaire ; on demandait simplement, comme l'a dit ingénieusement un écrivain, «que la liberté des cultes littéraires fut proclamée.» Othello réussit malgré une opposition admirablement organisée. Les classiques s'abordaient dans les couloirs du théâtre en se disant : «Commen trouvez-vous Othello ? C'est beau ! Mais Iago ! c'est bien plus beau !» Et de tous répéter sur des intonations de miaulement les plus discordantes : «Iago! Iago!». Rien n'y fit, la salle fut subjuguée devant ces sombres rugissement de la jalousie africaine dont le timide Ducis n'avaient fait entendre que des échos atténués.

Article détaillé : Théâtre romantique.

La bataille d'Hernani et le triomphe définitif [modifier]

La voie était non seulement ouverte, mais presque déblayée. Victor Hugo vint à la rescousse. Son drame de Cromwell était beaucoup trop considérable pour être joué. Le poète reprit la plume et écrivit Marion Delorme, que la censure arrêta. Hugo, infatigable, créa Hernani et la bataille décisive eut lieu.

Dès que fut connue la réception de la pièce par le comité de lecture de la Comédie-Française, sept académiciens adressèrent au roi une pétition pour que ce théâtre fut fermé aux «dramaturges», Charles X s'en tira spirituellement : «En fait de littérature, dit-il, je n'ai que ma place au parterre». L'exaspération redoubla. On essaye de faire refuser Hernani par la censure. Celle-ci, qui n'était pas favorable au poète, commit la faute, si faute il y a, d'autoriser la représentation de cette pièce, sous prétexte qu'elle était un tel «tissu d'extravangances» que l'auteur et ses amis seraient définitivement discrédité auprès du public. «Il est bon, disait le rapport, que le public voie jusqu'à quel point d'égarement peut aller l'esprit humain affranchi de toute règle et de toute bienséance.» Autres alertes : Mademoiselle Mars, qui jouait le rôle de doña Sol, ne pouvait se résigner à appeler Firmin, qui jouait le rôle d'Hernani, son «lion superbe et généreux». L'auteur la menaça de lui retirer son rôle. Elle accepta alors le lion aux répétitions, mais avec l'arrière pensée de le déguiser en seigneur pour le public, ce qu'elle fit. D'autre part, la claque se disposait à trahir. Le poète, qui répugnait les applaudissements salariés, voulait d'ailleurs la liberté au parterre comme il la revendiquait sur scène. La claque fut supprimée. La jeunesse romantique, écrivains et artistes, Bousingots et Jeune-France, s'offrit au maître pour les remplacer. «Chacun reçut pour passe un carré de papier rouge, timbré d'une griffe mystérieuse inscrivant au coin du billet le mot espagnol hierro, qui veut dire du fer. cette devise, d'une hauteur castillante approprié au caractère d'Hernani, signifiait qu'il fallait être, dans la lutte, franc, brave et fidèle comme l'épée.» On le fut. Les péripéties de cette mêlée épique ont été vingt fois racontées.

La première représentation d'Hernani. La lutte des «Chevelus» et des «Genoux». Gravure satirique de Granville.
La première représentation d'Hernani. La lutte des «Chevelus» et des «Genoux». Gravure satirique de Granville.
Balzac. Portrait de l'auteur de la «Comédie humaine», du créateur puissant de Grandet, Goriot, Gobseck, Biroteau, Mme de Mortsauf, etc.
Balzac. Portrait de l'auteur de la «Comédie humaine», du créateur puissant de Grandet, Goriot, Gobseck, Biroteau, Mme de Mortsauf, etc.

«Dès une heure de l'après-midi (28 février 1830), les passants de la rue Richelieu virent s'accumuler à la porte du théâtre une bande d'être farouches et bizarres, barbus, chevelus, habillés de toutes façons, exceptés à la mode : en vareuse, en manteau espagnol, en gilet à la Robespierre, en toque à la Henri III, ayant tous les siècles et tous les pays sur leurs épaules et sur la tête, en plein Paris, en plein midi. Les bourgeois s'arrêtaient, stupéfaits et indignés. M. Théophile Gautier, surtout, insultait les yeux par un gilet de satin écarlate, agrafé sur un pantalon vert pâle à bande de velours noir, et par l'épaisse chevelure qui lui descendait jusqu'aux reins.»

La porte ne s'ouvrait pas ; les tribus gênaient la circulation. L'art classique ne put voir tranquillement ces hordes barbares qui allaient envahir son asile ; il ramassa toutes les balayures et toutes les ordures du théâtre, et les jeta des combles sur les assiégeants. M. de Balzac reçut pour sa part un trognon de chou… La porte s'ouvrit à trois heures et se referma. Seuls dans la salle, ils s'organisèrent. Les places réglées, il n'était encore que trois heures et demie ; que faire jusqu'à sept? On causa, on chanta, mais la conversation et les chants s'épuisent. Heureusement qu'on était venu trop tôt pour avoir dîné : alors on avait apporté des cervelas, des saucissons, du jambon, du pain, etc. On dîna donc. Comme on n'avaient que cela à faire, on dîna si longtemps qu'on était encore à table quand le public entra (Victor Hugo raconté). À la vue de ce restaurant, le public des loges se demanda s'il rêvait ; incommodés par l'odeur de l'ail et du saucisson, les belles dames et les corrects classiques protestèrent, et c'est au milieu d'un brouhaha indescriptible que le rideau se leva.

La victoire fut remportée de haute lutte ; pendant les entr'actes, des scènes de pugilats, des bris de banquettes et des chapeaux défoncés à coup de poing témoignaient, plus encore que l'excellence des nouvelles doctrines littéraires, de la vigueur de leurs champions. «Il serait difficile, écrit quarante-quatre ans plus tard Gautier dans un style où vibre encore l'ardeur du combat, de décrire l'effet que produisaient sur l'auditoire ces vers si singuliers, si mâles, si forts, d'un tour si étrange, d'une allure si cornélienne et si shakespearienne à la fois. Deux systèmes, deux partis, deux armées, deux civilisations même, ce n'est pas trop dire, étaient en présence, se haïssant cordialement, comme on se hait dans les haines littéraire. Certains vers étaient pris et repris, comme des redoutes disputées par chaque armée avec une opiniâtreté égale. Un jour, les romantiques enlevaient une tirade que l'ennemi reprenait le lendemain et d'où il fallait le déloger. Quel vacarme! quels cris! quelles huées! quels sifflets! quels ouragans de bravos! quels tonnerres d'applaudissements! Les chefs de parti s'injuriaient comme les héros d'Homère… Pour cette génération, Hernani a été ce que fut le Cid pour les contemporains de Corneille. Tout ce qui était jeune, vaillant, amoureux, poétique, en reçut le souffle… Le charme dure encore pour ceux qui furent captivés.»

Article détaillé : Bataille d'Hernani.

Le règne du romantisme (1830-1843) [modifier]

La poésie [modifier]

Théophile Gautier, portrait par Auguste de Chatillon (1839)
Théophile Gautier, portrait par Auguste de Chatillon (1839)
Alfred de Vigny, âgé de 17 ans, en uniforme de la Maison du Roi (F.J. Kinston)
Alfred de Vigny, âgé de 17 ans, en uniforme de la Maison du Roi (F.J. Kinston)

Pendant que la révolution se faisait au théâtre, toute une littérature nouvelle, originale et forte, se développait dans le livre.

Nous avons cité les Premières Méditations de Lamartine et les Odes et Ballades de Hugo. Le premier donna en 1823 les Nouvelles Méditations, en 1825 le Dernier chant du Pèlerinage de Childe Harold, suite du Pèlerinage de Childe Harolde de Byron, en 1830 les Harmonies poétiques et religieuses, où sont quelques-unes de ses plus belles pièces. Le second, qui a donné en 1829 les Orientales, donnera en 1831 les Feuilles d'automne, en 1835 les Chants du crépuscule, en 1837 les Vois intérieures, en 1840 les Rayons et les Ombres. Alfred de Vigny publie en 1826 ses Poèmes antiques et modernes, inspirés surtout par l'antiquité biblique et homérique et par l'époque médiévale.

À côté de ces trois grands chefs de chœur, toute une pléiade ardente et jeune se rue à la bataille pour l'indépendance de l'art. Sainte-Beuve, l'auteur du Tableau de la poésie française au XVIe siècle, après avoir ressuscité Ronsard, du Bellay, l'ancienne Pléiade, devient lui aussi poète sous le pseudonyme de Joseph Delorme. Émile Deschamps se tourne vers l'Espagne, à l'exemple de son maître Hugo, et fait connaître à la France, dans la Romance du roi Rodrigue, les beautés du romancero espagnol. Théophile Gautier publie, à la fin de 1830, ses premiers vers où il se révèle tout de suite comme un maître de la forme. Alfred de Musset surtout publie en 1829 ses Contes d'Espagne et d'Italie, éminemment romantiques avec leurs vers disloqués aux rimes imprévues et trop riches, et l'accumulation de procédés chers au drame et au roman de la jeune école (jalousies féroces, empoisonnements, duels, etc.); mais, de 1829 à 1841, changeant de manière et tirant de sa propre expérience la matière de sa poésie, il criera la souffrance qu'il a ressentie d'avoir aimé et donnera une série d'immortels poèmes : les quatre Nuits de Mai, de Décembre, d'Août, d'Octobre, l'Espoir en Dieu et le Souvenir.

Article détaillé : Poésie romantique.

Le roman [modifier]

Illustration de Quasimodo par Alfred Barbou pour le roman historique Notre-Dame de Paris.
Illustration de Quasimodo par Alfred Barbou pour le roman historique Notre-Dame de Paris.
Eugène Delacroix : "La Liberté guidant le peuple". Cette scène de 1830 pourrait aussi illustrer le célèbre roman de Hugo Les Misérables. (Musée du Louvre).
Eugène Delacroix : "La Liberté guidant le peuple". Cette scène de 1830 pourrait aussi illustrer le célèbre roman de Hugo Les Misérables. (Musée du Louvre).

En même temps que la poésie, le roman lui aussi s'affirmait victorieux.

Victor Hugo avait donné en 1823 Han d'Islande et en 1826 Bug-Jargal, romans «terribles» dont les imaginations abracadabrantes font aujourd'hui sourire. mais en 1831 il fait paraître Notre-Dame de Paris, où il ressuscite, autour d'une cathédrale vivante et presque hallucinatoire, le Paris du XVe siècle, avec ses rues noires et infectes et son grouillement d'écoliers, de gueux et de truands. Dans cette voie du roman historique, il avait été précédé par Vigny dont le Cinq-Mars avait paru en 1826.

Bientôt Alexandre Dumas, conteur intarissable et toujours amusant, passionnera la France par ses romans pseudo-historiques et par ses merveilleux récits de combats et d'aventures qui sont encore dans toutes les mémoires (les Trois Mousquetaires, Vingt ans après, le Vicomte de Bragelonne, le Comte de Monte-Cristo) ; George Sand donnera ses romans de Lélia, Indiana, œuvres de révolte et de douleur, et Consuelo ; Balzac élèvera de 1829 à 1850 sa monumentale Comédie humaine.

Article détaillé : Roman romantique.

L'histoire [modifier]

L'amour du passé national, qui avait inspiré de grandes œuvres aux poètes, aux romanciers, aux dramaturges, provoqua un renouveau des études historiques. «Pharamond! Pharamond! Nous avons combattu avec l'épée…» La chant de guerre des Francs, comme une autre Marseillaise, avait préludé au réveil des générations disparues. Aimer le passé, le voir, le reproduire avec le mouvement et les couleurs de la vie, voilà l'ambition des historiens romantiques. Les documents d'archives donneront à un Augustin Thierry (1795-1856) et à un Michelet (1798-1874) les faits, les dates, les acteurs ; leur imagination et leur cœur leur rendront la vie, récréeront leur atmosphère, reconstitueront leur cadre. L'Histoire de la conquête de l'Angleterre par les Normands (1825) est bien l'exposé des faits relatifs à cette conquête, mais c'est aussi «une immense clameur de joie féroce dans le camp des vainqueurs, le murmure étouffé des victimes que les contemporains avaient à peine entendu et dont l'écho, à travers les âges, se répercute mystérieusement jusqu'à l'écrivain» (De Crozals).

Tentative de réaction classique [modifier]

Rachel par William Etty en 1840.  Cette grande tragédienne (1820-1858) soutint par son talent la tragédie classique pendant toute la période romantique.
Rachel par William Etty en 1840. Cette grande tragédienne (1820-1858) soutint par son talent la tragédie classique pendant toute la période romantique.

Au théâtre, le drame romantique règne en maître : Vigny fait jouer la Maréchale d'Ancre en juillet 1830 et Chatterton en 1835 ; Alexandre Dumas donne Antony en 1831 ; Hugo surtout est intarissable : à Marion Delorme, jouée avec éclat en 1831, succède le Roi s'amuse (1832), au Roi s'amuse, Lucrèce Borgia, Marie Tudor, Angelo, Ruy Blas ; rien ne semblait devoir interrompre une si féconde et si brillante carrière.

Tout à coup, en 1843, une réaction classique assez violente éclata. Un jeune homme, François Ponsard, fit recevoir à l'Odéon une tragédie classique, Lucrèce, pièce solide, naïve, écrite d'un style lourd, mais franc et sain. L'auteur n'avait ni affaibli ni orné son sujet ; il ne l'avait affublé d'aucun faux pittoresque ; il avait conservé à ses Romains primitifs leurs toges de laine blanche. Lucrèce fut choisie par les adversaires des romantiques pour être opposée aux Burgraves que Victor Hugo faisait jouer au Théâtre-Français. Une cabale alla siffler cette dernière œuvre et applaudir sa rivale, si bien que les Burgraves connurent un véritable échec.

Les destinées du drame romantique [modifier]

Après les Burgraves, les romantiques ne réussirent plus à faire vivre leur drame. Ils réussirent du moins à empêcher la tragédie de vivre. Ponsard ne fit pas école ; même ses autres tragédies, Agnès de Méranie et Charlotte Corday, tombèrent d'une chute profonde. Malgré tout son talent, Rachel ne parvint pas à soutenir au Théâtre Français une seule tragédie nouvelle. Quand on revint à la tragédie, ce fut à celle de Corneille et de Racine ; Voltaire lui-même avait sombré dans la tourmente romantique.

La comédie bourgeoise prit la place du drame historique. Le mouvement amorcé au XVIIIe siècle par l'apparition de la comédie larmoyante et du drame bourgeois de Diderot se reproduisit vers 1850, où Augier et Dumas fils, enveloppant une thèse morale dans une peinture exacte des mœurs contemporaines, créent la comédie dramatique, seule forme vraiment vivante du drame au XIXe siècle.

Fin du romantisme [modifier]

Vers 1850, il n'y a plus de classiques. Les échos de la bataille romantique se sont tus depuis longtemps déjà, Lamartine est condamné à donner pour vivre de la «copie» aux éditeurs ; Musset ne produit plus ; Vigny n'a pas publié de vers depuis son premier recueil. Sans adversaires et sans rivaux, Victor Hugo règne seul ; il prolonge d'un quart de siècle le romantisme. L'Empire, qui l'a jeté hors de France, lui fournit la matière des Châtiments (1853), explosion puissante de satire lyrique ; les Contemplations (1856), copieux épanchement de poésie individualiste, offrent toutes les variétés d'émotions et de pensées intimes ; la Légende des siècles enfin (1859, 1877, 1883) ramasse et réunit toute l'œuvre antérieure.

Derrière ce magnifique déploiement, la poésie se transforme, et en même temps qu'elle toute la littérature. Le temps des exaltations passionnées est fini ; la poésie cesse d'être exclusivement personnelle ; elle s'imprègne d'esprit scientifique, et cherche à rendre les conceptions générales de l'intelligence, plutôt que les accidents sentimentaux de la vie individuelle. La direction de l'inspiration échappe au cœur ; elle est reprise par l'esprit, qui fait effort pour sortir de soi et saisir quelque forme stable. Vigny reparaît, mais c'est justement pour enseigner à effacer le moi et la particularité de l'expérience intime (les Destinées, 1864, œuvre posthume). L'égoïsme passionnel du romantisme est mort ; ce qui le remplace, c'est le naturalisme.

Prud'hon (1758-1823) : L'enlèvement de Psyché. Prud'hon admirait beaucoup les formes élégantes de l'antiquité grecque, et il a su peindre de beaux corps, caressés d'une lumière dorée. (Musée du Louvre)
Prud'hon (1758-1823) : L'enlèvement de Psyché. Prud'hon admirait beaucoup les formes élégantes de l'antiquité grecque, et il a su peindre de beaux corps, caressés d'une lumière dorée. (Musée du Louvre)

Le romantisme dans l'art français [modifier]

Antoine-Jean Gros (1771-1835) : Pestiférés de Jaffa (1804). Les toiles de Gros sont admirables par l'ampleur de l'exécution, la chaleur et l'éclat du coloris, ainsi que par le grand caractère qui règne dans l'ensemble de la composition. (musée du Louvre).
Antoine-Jean Gros (1771-1835) : Pestiférés de Jaffa (1804). Les toiles de Gros sont admirables par l'ampleur de l'exécution, la chaleur et l'éclat du coloris, ainsi que par le grand caractère qui règne dans l'ensemble de la composition. (musée du Louvre).

La querelle des classiques et des romantiques ne fut pas seulement littéraire ; elle se produisit aussi dans l'art, et le parallélisme est remarquable entre les deux domaines, artistiques et littéraire.

L'art Empire [modifier]

Le romantisme littéraire s'était annoncé, au début du siècle, par le Génie du Christianisme (1802). Presque en même temps (1804), les Pestiférés de Jaffa de Gros avaient annoncé le romantisme artistique. Mais de part et d'autre ce n'avait été qu'un coup de clairon sans écho immédiat ; le vrai mouvement ne devait se produire que quinze ans plus tard, à un second appel. Dans l'intervalle, «l'art empire» de Pierre Guérin et de Gérard fut ce qu'était en littérature la poésie de Delille, des Fontanes et des Népomucène Lemercier. L'esthétique de David, érigée en pédagogie étroite et tracassière, porta dès le Consulat une estampille officielle, et l'art, comme la littérature, se plia de plus en plus au goût personnel de Napoléon.

D'abord domina le goût de l'art romain, et toute une génération s'appliqua à bâtir, à sculpter et à peindre dans le style de l'arc-de-triomphe de Septime Sévère et des bas-reliefs de la colonne Trajane.

Plus tard, quand le maître eut dressé l'aigle romaine au-dessus de toutes les nations de l'Europe, le champ de cet art déjà si restreint, se rétrécit encore, et l'art officiel emprunta tous ses thèmes au cycle impérial. De là ces allégories plus froides encore que celles de l'Ancien Régime, cette prodigalité d'attributs guerriers, ce goût du sec, du roide et du tendu qui, des proclamations de l'empereur, passa dans tous les motifs décoratifs. Tout est désormais aux trophées, aux casques et aux glaives, et jusque sur les lignes géométriques des lignes des meubles d'acajou, le cuivre doré métal tout militaire, reluit en sphinx, en obélisques et en pyramidions.

Delacroix : Dante et Virgile aux Enfers. Cette œuvre pleine de fougue, s'écartant de la façon la plus absolue de toutes les règles académiques, fit grand tapage au salon de 1822, où elle força l'admiration de la foule par la richesse prestigieuse de sa couleur. (musée du Louvre)
Delacroix : Dante et Virgile aux Enfers. Cette œuvre pleine de fougue, s'écartant de la façon la plus absolue de toutes les règles académiques, fit grand tapage au salon de 1822, où elle força l'admiration de la foule par la richesse prestigieuse de sa couleur. (musée du Louvre)

Signes avant-coureurs d'une transformation prochaine [modifier]

Cependant l'art, comme la littérature, ne pouvait échapper à l'influence des souffles nouveaux. Parmi les élèves même de David, plus d'un essayait d'un mariage entre la forme antique et le sentiment moderne, entre le classique et le romantique ;

Géricault : Le Radeau de la Méduse (1819). Ce tableau représente la scène suprême de la perte du navire La Méduse sur le banc de l'île d'Argin, alors que les naufragés, après s'être construit un radeau et lancés en plein océan, aperçoivent au loin le navire sauveur. Pour cette peinture, d'un prodigieux effet dramatique et d'une rare vigueur de touche, Géricault s'inspira des détails que lui donnèrent Corréard et Savigny, deux survivants du drame. (musée du Louvre)
Géricault : Le Radeau de la Méduse (1819). Ce tableau représente la scène suprême de la perte du navire La Méduse sur le banc de l'île d'Argin, alors que les naufragés, après s'être construit un radeau et lancés en plein océan, aperçoivent au loin le navire sauveur. Pour cette peinture, d'un prodigieux effet dramatique et d'une rare vigueur de touche, Géricault s'inspira des détails que lui donnèrent Corréard et Savigny, deux survivants du drame. (musée du Louvre)

tel Girodet dans ses Funérailles d'Atala (1808), tel surtout Prud'hon dans sa toile si dramatique de la Justice et la Vengeance divine poursuivant le crime (1808). Sombre énergie de la composition, gestes des personnages n'ayant rien de convenu ni d'attendu, subordination du drame d'action au drame de lumière, tout le romantisme était dans cette toile, suivie bientôt d'un Christ en croix de la plus poignante expression.

La révolution romantique [modifier]

L'exposition du Radeau de la Méduse de Géricault au salon de 1819 fut le signal de l'assaut romantique contre les œuvres froides et compassées de «l'art héroïque». Cette toile d'un jeune artiste, inconnu la veille, jette l'épouvante dans le camp classique. Les Académiciens sont aux abois. Derrière Géricault ils sentent gronder une jeunesse batailleuse, rétive à la règle.

En 1822, en effet, Delacroix expose Dante et Virgile, œuvre pleine de fougue et d'un coloris prestigieux, qui porte au comble la colère des classiques et affirme le succès de la peinture nouvelle. En vain, Géricault tombera-t-il à trente-trois ans, en 1824 ; Delacroix lui succédera comme porte-drapeau de la nouvelle école, dont La bataille de Nancy en est un excellent exemple. .

Deux dates marqueront les dernières et triomphales étapes, 1824 et 1827 :

Au salon de 1824, à côté du Massacre de Scio de Delacroix; toile heurtée, brossée par quelque Némésis furieuse, la phalange des artistes novateurs s'annonçait brillante : Ary Scheffer avec un sujet national, la Mort de Gaston de Foix ; Eugène Devéria avec une Madone romantique ;



31/08/2007
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