Scepticisme (philosophie)

Scepticisme (philosophie)

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Le scepticisme (du grec skeptikos, « qui examine ») est, au sens strict, une doctrine selon laquelle la pensée humaine ne peut se déterminer sur la possibilité de la découverte d'une vérité. Il ne s'agit pas de rejeter la recherche, mais au contraire de ne jamais l'interrompre en prétendant être parvenu à une vérité absolue. Son principal objectif n'est pas de nous faire éviter l'erreur, mais de nous faire parvenir à la tranquillité (ataraxia), loin des conflits de dogmes et de la douleur qu'on peut ressentir lorsqu'on découvre de l'incohérence dans nos certitudes.

Dans l'Antiquité, l'école sceptique eut pour fondateur le philosophe Pyrrhon dont nous ne connaissons que peu de choses. Nous possédons cependant quelques fragments de l'œuvre de son disciple Timon de Phlionte. Le scepticisme antique est ainsi résumé par Sextus Empiricus :

« Le scepticisme est la faculté de mettre face à face les choses qui apparaissent aussi bien que celles qui sont pensées, de quelque manière que ce soit, capacité par laquelle, du fait de la force égale qu'il y a dans les objets et les raisonnements opposés, nous arriverons d'abord à la suspension de l'assentiment, et après cela à la tranquillité», Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes, I, 8 » 

Au-delà de cet usage strict du terme, sceptique est un adjectif abondamment utilisé, souvent avec excès. Il a beaucoup été utilisé pour désigner un certain défaitisme face à la connaissance, particulièrement à la renaissance. Le terme a, enfin, été récupéré par des mouvements n'ayant qu'un lointain lien avec le scepticisme mais qui cherchent à mettre en avant leur contestation face à des idées présentées comme vraies.

Sommaire

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le scepticisme antique [modifier]

Doctrine générale [modifier]

D'après Sextus, la philosophie sceptique (dans sa période tardive) est une philosophie non dogmatique dont le principe méthodologique est d'opposer à toute raison valable, et sur tout sujet, une raison contraire et tout aussi convaincante. Le but de cette recherche, que l'on peut qualifier de logique, est de détruire les fausses opinions que nous soutenons à tout propos et qui nous rendent malheureux en nous trompant sur la nature des choses. Ce dernier point peut être rapproché de l'épicurisme ; mais la comparaison s'arrête là, car le sceptique entend bien rester dans l'ignorance en n'admettant rien qui ne soit douteux. Il ne formule pas d'hypothèses, mais laisse toujours ouverte la possibilité d'une réfutation.

En revanche, la réalité des phénomènes est tenue pour certaine, c'est-à-dire que l'apparence est telle qu'elle nous apparaît. Il ne dit pas : « cet objet (comme substance) est tel (qualité intrinsèque) » ; mais : « cet objet, en tant qu'il m'apparaît, apparaît avec telle qualité sensible ». Du point de vue de la connaissance, cela revient à nier la catégorie de substance, pour n'affirmer que des apparences liées sans substrat métaphysique ; d'un point de vue moral, cette distinction permet d'établir des règles de vie issues de l’expérience : en général, le sceptique suit les croyances établies, même s'il n'y croit pas. Les opinions du sens commun lui sont indifférentes : telle est la conclusion morale de cette philosophie, l'ataraxie et l'acatalepsie (la tranquillité et absence de compréhension).

Selon Victor Brochard, le scepticisme, dans ses formulations les plus rigoureuses, est une véritable méthode scientifique, comparable à l'esprit scientifique moderne. En effet, ne posant aucune hypothèse d'ordre métaphysique, le scepticisme n'interdit pas d'étudier les phénomènes et d'en faire la théorie. Mais il faut dire toutefois que ces philosophes ne semblent pas avoir eu conscience de la nouveauté épistémologique de leur doctrine, trop occupés qu'ils étaient dans leur recherche de l'indifférence heureuse.

Histoire du scepticisme antique [modifier]

Cette philosophie ne semble prendre une forme systématique qu'au premier siècle après J.C. (ou quelques décennies avant J.C.), avec Ænésidème, Agrippa puis Sextus Empiricus. Mais, avant eux, la Nouvelle Académie paraît être la véritable héritière du scepticisme pour la période IIIe - Ier siècle av. J.-C. Nous possédons deux œuvres de Sextus Empiricus, les esquisses pyrrhoniennes et Contre les professeurs. Ce qu'ont enseigné les autres sceptiques est difficile à établir avec certitude.

Les origines [modifier]

D'après Diogène Laërce (IX, 71), certains sceptiques faisaient remonter l'origine de leur pensée à Homère et aux sept sages. On trouve en effet très tôt des formules sceptiques dans la culture grecque : Rien de trop par exemple.

Mais on trouve également des interrogations sur la possibilité de la connaissance chez les Présocratiques :

À cause de la faiblesse de nos sens, nous sommes impuissants à distinguer la vérité. Anaxagore
La vérité est au fond du puits. Démocrite
Il n'y a jamais eu, il n'y aura jamais un homme qui connaisse avec certitude ce que je dis des dieux et de l'univers. Quand même il rencontrerait la vérité sur ces sujets, il ne serait pas sûr de la posséder : l'opinion règne en toutes choses. Xénophane de Colophon

Protagoras affirme que sur tout sujet, on peut opposer des raisons contraires (Diogène Laërce, IX, 51). Socrate affirme que tout ce qu'il sait, c'est qu'il ne sait rien. De nombreux aspects de ce qui s'appellera plus tard le scepticisme imprègnent ainsi la civilisation de la Grèce. Mais leur synthèse en un système philosophique cohérent prendra encore quelques siècles.

L'ancien scepticisme [modifier]

Nous savons peu de choses sur l'ancien scepticisme, qui paraît n'être essentiellement qu'un scepticisme pratique :

La Nouvelle Académie [modifier]

La Nouvelle Académie est souvent rattachée à l'histoire du pyrrhonisme du fait de leur influence réciproque et de leurs ressemblances :

Article détaillé : Nouvelle Académie.

Selon Sextus Empiricus, les théories de la nouvelle académie diffèrent du scepticisme sur deux points.

D'abord, la nouvelle académie prétend que les choses sont insaisissables. Pour le sceptique, il est impossible de déterminer si les choses sont saisissables ou non, car l'affirmation selon laquelle rien n'est saisissable est encore dogmatique. Le sceptique se contente de suspendre son jugement.

Les membres de la nouvelle Académie, même s'ils disent que toutes les choses sont insaisissables, diffèrent sans doute des sceptiques d'abord justement en disant que toutes les choses sont insaisissables (en effet, ils assurent cela, alors que le sceptique s'attend à ce qu'il soit possible que telle chose soit saisissable) - Esquisses pyrrhoniennes, I, 226

De plus, les néo-académiciens recherchent le plausible, en dictant une échelle de valeur composée, en bas, de l'impression simplement plausible; au milieu, de l'impression plausible et examinée et en haut, de l'impression plausible, examinée plusieurs fois et indubitable. Cela les mène à choisir pour critère de vie (c'est-à-dire du critère qui déterminera nos actions, nos choix quotidiens) la recherche de ce fortement plausible alors que le sceptique, ne déterminant rien, ne suit que ses perceptions et les normes de l'endroit où il vit.

Mais nous différons aussi de la nouvelle Académie sur ce qui conduit à la fin, car les hommes qui affirment se conformer à sa doctrine ont recours au plausible au cours de leur vie, alors que nous-mêmes vivons sans soutenir d'opinion en suivant les lois, les coutumes et nos affects naturels. - Esquisses pyrrhoniennes, I, 231

Néo-pyrrhonisme [modifier]

Il semble bien que le scepticisme n'atteint à sa conceptualisation la plus rigoureuse qu'à cette époque, avec des sceptiques que l'on a parfois qualifiés de dialectiques :

Les médecins sceptiques et l'école empirique [modifier]

Plus ou moins différenciée du scepticisme dialectique, il exista également une branche empirique de cette école, branche particulièrement liée à la médecine et à l'expérimentation scientifique :

Scepticisme au sens large [modifier]

Le fondement du scepticisme de l'après moyen-âge est que science, matérialisme et athéisme sont trois positions philosophiques intimement liées, c'est-à-dire que l'une ne va pas sans l'autre.

Le scepticisme de la renaissance [modifier]

La renaissance, outre la redécouverte des Anciens, se caractérise par une mise en branle des certitudes concernant la physique. Un des points de départ de la période de la renaissance souvent mis en avant est la découverte de l'héliocentrisme par Copernic. Il s'agit d'un véritable traumatisme dans le domaine de la connaissance humaine, et Freud le qualifiera de première blessure de l'égoïsme de l'homme (à laquelle il fera en succéder une seconde, la théorie de l'évolution de Darwin, puis une troisième, la psychanalyse). L'homme n'est plus au centre du monde, sa certitude de vivre dans un monde harmonieux vole en éclat. Il n'y a plus ni ordre, ni place prédéterminée, ni règle. Ceci perdurera jusqu'à l'arrivée de Newton et sa théorie de l'attraction universelle.

La renaissance, c'est aussi la période de violentes et interminables guerres de religion au sein du christianisme. La religion devient une des principales causes de souffrance. L'Europe est déchirée et commence à douter de ses dogmes.

Les humanistes se plongent alors dans la lecture des Anciens, dont ils disposent enfin des textes, afin de trouver une réponse acceptable à la subite instabilité du monde. Ils ne trouveront que contradictions entre les différentes écoles, sans qu'on puisse raisonnablement donner la préférence à l'une d'elle.

Montaigne en déduira qu'il est vain de tenter de découvrir le fonctionnement du monde. Le seul domaine de recherche qui est autorisé au philosophe, c'est sa propre intériorité.

Le scepticisme classique et moderne [modifier]

La période classique et moderne constitue un effort pour briser le scepticisme pessimiste de la Renaissance, en particulier chez les rationalistes comme Descartes et Kant. Leurs œuvres consistent en une prise en compte de l'état de fait sceptique, pour ensuite sauver la connaissance et la métaphysique.

Hume, pour sa part, intègre le scepticisme dans le but de renforcer les théories empiristes, en invalidant toute possibilité de réflexion métaphysique classique.

  • Descartes : on ne peut prouver que notre perception actuelle soit fiable, qu'on ne soit pas par exemple en train de rêver, sinon par la certitude de l'existence de Dieu.
Le scepticisme de Descartes s'inspire fortement de celui de Montaigne (Les Essais). On peut considérer que Descartes est plus proche de Montaigne du point de vue des principes fondamentaux de sa pensée que des philosophies rationalistes ultérieures. Chez lui le scepticisme est le premier pas vers la connaissance. Il est un moment à dépasser pour construire un savoir. C'est sur le doute qu'est bâti son "Discours de la méthode", mais il ne faut pas perdre de vue que son objectif principal est de renverser le scepticisme ambiant, en montrant qu'il est possible d'avoir des connaissances. Montaigne doute pour douter, alors que Descartes doute pour ne plus douter.
  • David Hume : nous n'avons aucune preuve que la représentation du monde que nous fournissent les données des sens constitue une connaissance fiable de ce monde, notre connaissance s'arrêtant aux données des sens.
  • Kant : notre perception a lieu dans l'espace et le temps, structures transcendantales de notre esprit, ainsi nous ne pouvons jamais « connaître » le monde en soi, mais nous pouvons néanmoins penser des objets transcendant l'expérience.

période contemporaine [modifier]

Le scepticisme se retrouve aujourd'hui dans des courants de pensée tels que l'épistémologie constructiviste, qui propose une philosophie de la connaissance d'inspiration clairement sceptique, ou le constructivisme social.

Il existe enfin un mouvement sceptique contemporain, qui cherche à promouvoir la science, la pensée critique et à soumettre les pseudo-sciences à la méthode expérimentale. En France, ce mouvement est connu sous le nom de zététique. Il n'a cependant aucun lien avec le scepticisme philosophique au sens strict[1], le mot "sceptique" devant dans son cas être entendu dans son sens courant.

Article détaillé : Mouvement sceptique contemporain.

Le scepticisme en Asie [modifier]

  • Nagarjuna, fondateur de l'école bouddhique Madhyamaka, nie l'être aussi bien que le non-être : rien n'a de nature propre, toute connaissance phénoménale n'est que conventionnelle. De façon plus générale, le bouddhisme, comme le scepticisme, nie la catégorie de substance et ne voit que « vacuité » (absence de nature propre qui ferait qu'une chose serait indépendante des autres choses, ce qui rejoint aussi la notion de coproduction conditionnée) dans les phénomènes aussi bien que dans l'Absolu (nirvāna).

contestation du scepticisme [modifier]

  • Théorème de Cox-Jaynes : selon ce théorème, il est nécessaire d'accorder un crédit provisoire à quelques idées non vérifiées (éventuellement fausses, donc), en vue de créer les expériences qui les infirmeront ou non (cette idée étant aussi ancienne que le scepticisme). Par remises en cause successives, des considérations de diminution d'entropie montrent que les idées de différents observateurs (qui ont des a priori différents) convergeront vers une vision unique là où une réalité sous-jacente objective existe, et est observable d'une manière ou d'une autre. Ce théorème lève également les doutes qui planaient sur le mécanisme (également baptisé scandale par Bertrand Russell), de l'induction. Voir aussi inférence bayésienne.


Voir aussi [modifier]

wikt:

Le Wiktionnaire possède une entrée pour « scepticisme (philosophie) ».

Notes [modifier]

  1. Au contraire, du point de vue du pyrrhonisme, la zététique serait considérée comme un dogmatisme.

Articles connexes [modifier]

Bibliographie [modifier]

Éditions [modifier]

Études [modifier]

  • Victor Brochard, Les Sceptiques grecs, 1887.
  • Léon Robin, Pyrrhon et le scepticisme grec, PUF, Paris, 1944.
  • J.-P. Dumont, Le Scepticisme et le phénomène, Vrin, Paris, 1972.
  • Marcel Conche, Pyrrhon ou l'apparence, PUF, Paris, 1994.
  • Richard H. Popkin, Histoire du scepticisme d'Érasme à Spinoza, PUF, Paris, 1995.


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Le Scepticisme antique

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08/08/2007
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