Théorie du Bouc émissaire

 

Bouc émissaire

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Voir « bouc émissaire » sur le Wiktionnaire.

Pour les articles homonymes, voir Bouc émissaire (homonymie).

D'origine religieuse, l'expression bouc émissaire désigne en langage courant la personne qui est désignée par un groupe comme devant endosser un comportement social que ce groupe souhaite évacuer. Cette personne est alors exclue du groupe, au sens propre ou figuré, parfois punie, ou condamnée.


À noter que la personne choisie ne l'est pas forcément pour avoir partagé ce comportement, elle peut être une victime expiatoire choisie pour d'autres raisons du fonctionnement du groupe.

William Holman Hunt, The Scapegoat
William Holman Hunt, The Scapegoat

Sommaire

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Référent culturel [modifier]

Le terme de bouc émissaire correspond à l'origine à un rite expiatoire annuel (Yom Kippour) des Hébreux longuement décrit dans le seizième chapitre du Lévitique. Le grand prêtre devait prendre deux boucs puis les tirer au sort. L'un était directement sacrifié à Dieu, tandis que l'autre était envoyé dans le désert vers Azazel. C'est ce deuxième bouc qui est appelé bouc émissaire, du latin ecclésiastique caper emissarius (le bouc envoyé, lâché). La tradition juive voit dans Azazel une falaise du désert du Sinaï du haut de laquelle le bouc émissaire serait jeté. Tandis que la tradition chrétienne voit en Azazel un démon sauvage, sans doute un ange déchu. Le rôle exact du bouc émissaire est clairement décrit dans le texte biblique :

« Aaron lui posera les deux mains sur la tête et confessera à sa charge toutes les fautes des Israélites, toutes leurs transgressions et tous leurs péchés. Après en avoir ainsi chargé la tête du bouc, il l'enverra au désert sous la conduite d'un homme qui se tiendra prêt, et le bouc emportera sur lui toutes leurs fautes en un lieu aride. » (Lévitique XVI:21-22)

Dans le même ordre d'idée, celui du sacrifice de substitution, Lévitique IV:22-26, propose un sacrifice d'expiation propre au péché d'un chef, lequel rejaillit sur l'ensemble de la communauté :

Si c'est un chef qui a péché, en faisant involontairement contre l'un des commandements de l'Éternel, son Dieu, des choses qui ne doivent point se faire et en se rendant ainsi coupable, et qu'il vienne à découvrir le péché qu'il a commis, il offrira en sacrifice un bouc mâle sans défaut. Il posera sa main sur la tête du bouc, qu'il égorgera dans le lieu où l'on égorge les holocaustes devant l'Éternel. C'est un sacrifice d'expiation. Le sacrificateur prendra avec son doigt du sang de la victime expiatoire, il en mettra sur les cornes de l'autel des holocaustes, et il répandra le sang au pied de l'autel des holocaustes. Il brûlera toute la graisse sur l'autel, comme la graisse du sacrifice d'actions de grâces. C'est ainsi que le sacrificateur fera pour ce chef l'expiation de son péché, et il lui sera pardonné.

Dans le Nouveau Testament, Jésus est présenté comme un Agneau immolé, un sacrifice expiatoire qui a sauvé le monde lorsqu'il fut adoré sur la croix lors de sa passion.

Entrée dans la langue française [modifier]

L'expression française bouc émissaire est mentionnée dans le dictionnaire de Furetière (1690), avec une définition identique à celle donnée ci-dessus. Par la suite, on l'a utilisée pour désigner une personne sur laquelle on fait retomber les fautes des autres. Ce sens est déjà attesté au XVIIIe siècle. Georges Clemenceau le reprendra plus tard à propos de l'affaire Dreyfus :

« Tel est le rôle historique de l'affaire Dreyfus. Sur ce bouc émissaire du judaïsme, tous les crimes anciens se trouvent représentativement accumulés. » (cité par le Thésaurus de la langue française)

Anthropologie [modifier]

Chez les ethnologues contemporains, le concept de bouc émissaire désigne l'ensemble des rites d'expiation dont use une communauté. Le premier à avoir utilisé ce concept est James George Frazer, qui a écrit un ouvrage dont le titre français est Le Bouc émissaire, étude comparée d'histoire des religions.

Sociologie [modifier]

Un ouvrage de René Girard intitulé Le Bouc émissaire (1982) montre à l'œuvre ce phénomène qu'il nomme le triangle mimétique : formé de trois pôles qui sont les individus A, B et le bien supposé, le triangle mimétique décrit ce jeu symbolique et la relation réelle entre A et B,

dans laquelle B :

  • dispose d'un bien,
  • semble disposer d’un bien,
  • ou pourrait disposer d’un bien,

dont A pense soit :

  • qu'il en est lui-même dépourvu,
  • que sa propre jouissance du même bien est menacée par le seul fait que B en dispose (ou puisse en disposer).

Notons que le bien est appelé par René Girard objet et qu’il n’est pas nécessairement matériel.

Ce triangle mimétique semble motivé par la nécessité d’avoir à défaut de pouvoir être. Ne pouvant être l’autre directement, l’individu (A) pense que ce qui caractérise l’autre (B) et qui justifie encore la différence entre lui (A) et son modèle (B), est un avoir (l’objet ou le bien). Le problème réside dans l’imitation réciproque au désir de l’objet. Plus A va désirer l’objet, plus B (s’il rentre dans le mécanisme du désir mimétique) va faire de même. Et plus A et B vont (par rapport à leur désir) se ressembler. Schématiquement, plus la tension vers l’objet est forte, plus l’indifférenciation entre A et B est importante. Or, pour René Girard, c’est cette indifférenciation des individus qui est porteuse de violence (au travers de la tension vers un même objet). Finalement, cette rivalité mimétique ainsi engendrée va être créatrice de conflit et de violence.

Comme le note René Girard dans un autre ouvrage « Fixer son attention admirative sur un modèle, c'est déjà lui reconnaître ou lui accorder un prestige que l'on ne possède pas, ce qui revient à constater sa propre insuffisance d'être. » Comme le note René Girard, « le sujet méconnaîtra toujours cette antériorité du modèle, car ce serait du même coup dévoiler son insuffisance, son infériorité, le fait que son désir est, non pas spontané mais imité. Il aura beau jeu ensuite de dénoncer la présence de l'Autre, médiateur de son désir, comme relevant de la seule envie de ce dernier » (Mensonge romantique et vérité romanesque)

Le phénomène du bouc émissaire est un phénomène collectif. C’est la réponse inconsciente (René Girard utilise le terme de méconnaissance) d’une communauté à la violence endémique que ses propres membres ont gérée au travers des rivalités mimétiques dues au triangle mimétique.

Le phénomène du bouc émissaire est la loi du « tous contre un ». Il a pour fonction d’exclure la violence interne à la société (endémique) vers l’extérieur de cette société. Pour que ce phénomène soit effectif, il faut :

  • que la mise en oeuvre du rituel du bouc émissaire reste caché,
  • que la violence résultante de cet acte n’entraîne pas une escalade de violence, d’où la nécessité d’un « typage » des victimes (elles ne sont pas choisies au hasard). C’est le principe de moindre violence,
  • que les individus soient persuadés de la culpabilité du bouc émissaire,
  • et (dans une moindre mesure) que les victimes soient persuadées d’être coupables.

Le problème de ce mécanisme régulateur de la violence est son caractère temporaire. En effet, la violence endémique générée par le désir mimétique se fait, tôt ou tard, ressentir. L’on a recours alors à un nouveau bouc émissaire.

En résumé, pour René Girard, le bouc émissaire est le mécanisme collectif permettant à une société humaine de survivre à la violence générée par le désir mimétique individuel de ses membres (même si la détermination des désirs est, pour une très large part, collective). Le bouc émissaire désigne également l’individu, nécessairement coupable pour ses accusateurs mais innocent du point de vue de la « vérité » (pour René Girard), par lequel le groupe, en s’unissant uniformément contre lui, va retrouver une paix éphémère.

Sociopsychanalyse et psychiatrie [modifier]

Au carrefour de la sociologie des organisations et de la psychiatrie, le Dr. Yves Prigent dans son livre La Cruauté ordinaire analyse le comportement de petits groupes menés par un pervers envieux. Ces phénomènes sont attestés par Gustave Le Bon dès la fin du XIXe siècle dans Psychologie des foules et par Sigmund Freud qui, lui, expose la violence d'un groupe piloté par un pervers envieux.

L'attaque se porte sur celui qui dispose d'une vie intérieure profonde ou de compétences affirmées selon le principe que le clou qui dépasse connaîtra le marteau (Li M'Hâ Ong). Le pervers agit sans intentionnalité claire car il ne peut exprimer son manque par le logos. Il transforme donc un souci impensable (l'envie qu'il ressent et ne peut s'avouer sans perdre la face à ses propres yeux) en un souci pensable à l'occasion d'un travail psychique. Il émet donc un double message :

  • il se demande comment on ferait sans l'objet de sa haine,
  • mais en même temps, il propage un message de persécution.

Livré à l'impensable, la pulsion de mort, il émet un message organo-dynamique. Le pervers s'efforce de détruire le lieu du langage, le trognon (selon Jacques Lacan) à savoir la base même de la personnalité humaine de la personne qu'il persécute. Faute d'espace psychique intérieur, il dirige son action contre l'espace intérieur de l'autre, i.e. diffamant l'autre si celui-ci est un être éthique, tâchant de désoler (de rendre désert) l'autre de manière généralement cynique en s'affranchissant, pour ce faire, des règles de sociabilité ou de civilité les plus courantes qui ne sauraient être appliquées qu'aux autres, son public. Le pervers laisse entendre de façon répétée que les mesures qu'il prend pour brimer sa victime sont souhaitables selon les dires des autres, mais aussi, il essaye de détruire ce qui rend l'autre spécifique, ce pourquoi il est apprécié. Méfie-toi car c'est ce que tu as de meilleur est la règle de l'exclusion du bouc émissaire.

Le pervers envieux hait la singularité parce que lui-même en est dépourvu ; de ce fait, elle lui fait ombrage. Il projette sur autrui les difficultés qu'il pourrait avoir lui-même parce qu'il est démuni des outils pour les régler. L'objectif consiste à annihiler l'identité sociale de l'autre ou la reconnaissance sociale dont serait susceptible de bénéficier le sujet de sa haine ; cette reconnaissance qui, selon le pervers envieux, ne serait due qu'à lui-même.

Le groupe, en le suivant, émet une reconnaissance de la parole du pervers, lui accorde un brevet de séduction, afin de procéder à l'éviction du « trop vertueux » ou « trop compétent ». La perversité est contagieuse. Ce phénomène préside à l'ostracisme de Thémistocle dont le point de départ est l'envie, dans la constatation que l'autre a quelque chose en soi d'éminent.

Si le sujet de haine cède à l'injonction du pervers, par exemple s'il se défend contre chaque diffamation (qui précède immanquablement le jeu pervers), il recevra un traumatisme second. Plus l'objet de la haine perverse se défend, plus le groupe se dit qu'il n'y a pas de fumée sans feu, le traite de paranoïaque ; si celui-ci ne se défend pas, le groupe considère que le pervers a raison. Le jeu pervers a pour but de dépouiller le sujet de sa dignité.

Le pervers s'attaque aux forces de liaisons, spécifiquement au lien entre la pulsion de vie et la pulsion de mort.

  • Le déni de l'autre est la base du jeu du pervers envieux : tu n'existes pas séparément à moi,
  • l'exclusion conforte le pervers dans son pouvoir de séduction tu n'as aucun rapport avec les autres ni avec toi-même.

L'emprise, la manipulation se font alors sentir tant sur le bouc émissaire que sur le groupe qui demeure inconscient des évènements.

Psychologie sociale : Théorie du bouc émissaire (Dollard) [modifier]

Théorie basée sur la théorie de la frustration-agression. Le comportement agressif résulte d'une frustration, c'est-à-dire d'une impossibilité d'atteindre ses objectifs. L'agression est tournée de manière privilégiée vers la source de la frustration, mais si celle-ci est absente ou non atteignable (hiérarchie), l'agression est déplacée vers un bouc émissaire, la cible la plus facile (groupes minoritaires). Mais cette théorie fut beaucoup critiquée et a été reformulée plus tard. En effet lors de l'expérience de Sherif en 1953 pour mettre en évidence sa théorie de Conflit réel, une compétition entre deux groupes, tel un match de foot (ce qui fait émerger un conflit entre ces deux groupes) provoque tout de même l'agressivité de ceux qui ont gagné le match, ce qui montre que l'agressivité ne résulte pas de la frustration.

Voir aussi [modifier]

Bibliographie [modifier]

Articles connexes [modifier]



02/05/2008
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