Thèse sur l’état mixte bipolaire (EMB), et la dépression mixte

 

 

Introduction

Cette thèse porte sur l'état mixte bipolaire (EMB), et plus précisément sur la dépression mixte. La définition de l'EMB dans les classifications des troubles psychiatriques utilisées de nos jours (CIM-10, DSM-IV) y occupe une très petite place et est controversée dans la littérature. L'EMB est considéré aujourd'hui par les classifications usuelles comme un état résultant de la combinaison de deux dimensions des troubles affectifs, la dépression et la manie. Ces deux dimensions apparaissent de manière généralement alternée dans le trouble bipolaire, anciennement appelé psychose maniaco-dépressive. Or l'EMB pose des problèmes thérapeutiques surtout lorsqu'il n'est pas reconnu. Il accroît la souffrance du patient, accroît le risque suicidaire et prolonge la durée d'hospitalisation. Pour introduire mon article de thèse, je vous propose un bref résumé de l'histoire des troubles de l'humeur (de la lignée affective) et de l'EMB, puis une brève revue de la littérature moderne sur l'EMB. Enfin, je vous expliquerai les circonstances qui nous ont conduit à faire un tel travail et à publier un article sur le sujet. Je conclurai après l'article sur ce que nous apportent les résultats de notre étude dans notre pratique clinique, en lien aussi avec la littérature plus récente.

Depuis les grecs anciens, la conception des troubles de l'humeur a beaucoup changé, ainsi que le vocabulaire utilisé pour les décrire. De mélancolie à dépression, de folie circulaire à trouble bipolaire, peu à peu les troubles de l'humeur ont été différenciés des troubles psychotiques et des démences et peu à peu les différents sous-types des troubles de l'humeur ont été décrits. L'histoire du trouble bipolaire et des EMB a été reprise récemment par Chantal Henry dans son livre « Du concept d'état mixte à la dimension dysphorique des

manies » (1) et Koukopoulos reprend aussi l'histoire des EMB dans son dernier article « Agitated depression as a mixed state and the problem of melancolia » (2). Le premier à décrire un trouble de la lignée affective est Hippocrate qui parle de mélancolie, trouble incluant la dépression actuelle, mais aussi certains accès de rage. Les anciens croyaient ce trouble lié à la circulation dans le corps ou l'âme d'une humeur, d'une substance noire (mêlas=noir en grec). Au Ie siècle, Arrêtée de Cappadoce décrit la succession d'états mélancoliques et d'états d'exaltation. D'autre part, il observe que certains exaltés sont gais et ludiques tandis que d'autres se présentent comme passionnés et destructeurs (cité par 6 Davidson) (3). Le rapport entre manie (signification actuelle) et mélancolie se précise au XVIIe s. avec le médecin anglais Willis (cité par Haustgen) (4) qui parle de ces troubles comme de deux maladies pouvant se succéder de manière répétée. Le premier à utiliser le terme de mélancolie agitans est Richarz, en 1858. Les termes de manie et d'athymie mélancolicomaniaque apparaissent avec Heinroth et manie est alors synonyme de rage. En 1880, l'auteur belge J.Guislain décrit la fusion entre manie et mélancolie résultant en un état comprenant tristesse et violence. En 1865, Griesinger décrit le caractère cyclique de l'apparition des deux troubles. Il différencie les états d'exaltation et de dépression, plaçant la rage en position intermédiaire. En 1854, Falret décrit pour la première fois la folie circulaire et la distingue de la démence précoce en insistant sur l'alternance des phases d'excitation et d'inhibition, au détriment des éléments délirants, et avec parfois des intervalles libres. La même année, Baillarger décrit la folie à double forme et fait de la manie et de la mélancolie les deux périodes d'un seul accès biphasique. En 1899, Robertson pose la question d'une éventuelle dichotomie entre états maniaques hilares ou furieux.

La question des EMB se pose donc de tous temps et est très intriquée dans l'histoire du trouble bipolaire. En effet, la dépression n'est pas toujours simplement un état d'apathie et de tristesse marquées, elle peut prendre plusieurs formes, tantôt agitée, tantôt irritée. De même, la manie n'est pas toujours simplement un état d'agitation et d'exaltation et contient parfois des aspects dépressifs. Les aspects d'irritabilité y sont souvent associés mais pas toujours.

C'est Kraepelin qui, en 1899, dans son traité la folie maniaco-dépressive (5), étudie de près cette pathologie, la différencie définitivement des autres et décrit six types d'EMB combinant de manière différente les symptômes de la sphère idéique (fuite des idées ou bradypsychie), de celle de l'humeur (exaltation ou tristesse) et de celle de l'activité (agitation psycho-motrice ou diminution de l'activité). En 1920, le suisse Adolf Mayer propose de remplacer le concept de mélancolie par celui de dépression, plus précis. En 1980, dans le DSM-III, le terme trouble maniaco-dépressif est remplacé par celui de trouble bipolaire.

Quant à la littérature moderne au sujet des EMB, elle rapporte au moment de la mise en place de mon étude de nombreux articles consacrés à définir l'EMB, une dizaine d'études sur l'évaluation de la symptomatologie dépressive au cours des états maniaques, des études comparatives entre manie pure et manie mixte et quelques articles sur l'évaluation de la symptomatologie maniaque au cours d'épisodes dépressifs. Le DSM-IV donne une définition très restrictive de l'EMB, nécessitant la présence d'un syndrome dépressif et maniaque 7 complet pendant une semaine, et excluant par cela les EMB de plus courte durée et surtout ceux, nombreux, ne présentant pas les deux syndromes complets. La classification CIM-10 est moins restrictive en terme de nombre de symptômes présentés, mais plus en terme de durée (deux semaines). Il est intéressant de noter que l'irritabilité est un symptôme maniaque dans

les deux classifications. D'autres définitions plus larges de l'EMB ont été proposées par de nombreux auteurs : Koukopoulos (2; 6), Akiskal et Mallya (7), Dilsaver (8), Freeman (9), Cassidy (10), Dayer et al. (11). Voici pour exemple les derniers articles parus avant le mien sur le sujet. Cassidy propose, pour définir la manie mixte (10), la présence de deux de six symptômes dysphoriques (humeur dépressive, anhédonie, culpabilité, suicide, fatigue, anxiété) surajoutés au tableau maniaque. Pour le diagnostic de la dépression mixte, Koukopoulos (2) propose l'association avec le tableau dépressif de deux ou trois des symptômes suivants : agitation motrice, tension interne intense, tachypsychie. Il propose aussi (6) un tableau des symptômes de la dépression mixte (cf tableau page 12) qui rejoignent ceux répertoriés dans l'étude réalisée plus tard par Perugi à Pise (12) (agitation, dépression psychotique, humeur irritable, tachypsychie, logorrhée). Face à l'incidence élevée de l'EMB, un groupe de recherche sur les EMB mené par le Professeur Gilles Bertschy s'est constitué à Belle-Idée. Dayer et al. proposent dans leur article « A theoretical reapraisal of mixed states : dysphoria as a third dimension ») (11) de considérer le syndrome dysphorique (irritabilité exprimée ou ressentie, tension interne, agressivité, méfiance) comme une dimension à part qui se surajoute parfois à la manie ou à la dépression dans leurs formes isolées et souvent dans leurs formes associées telles qu'elles sont présentes dans les EMB. Nous différencions ainsi les EMB de type I, correspondant à la définition du DSM-IV des EMB de type IID et IIM.

Les EMB de type IID se définiraient par un tableau dépressif associé à un symptôme pur du tableau maniaque (de ces symptômes purs sont exclus l'irritabilité et l'agitation motrice qui peuvent être dus à l'anxiété) et un syndrome dysphorique. De même, les EMB de type IIM se définiraient par un tableau maniaque complet avec trois des neuf symptômes dépressifs du DSM-IV et un syndrome dysphorique. Ce concept est partagé par Alan C Swann dans son dernier article (13).

La littérature comparative entre manie mixte et manie pure rapporte des résultats assez dispersés, probablement entre autres en raison des définitions variables choisies pour la manie mixte. McElroy le montre dans sa revue de littérature (14). Dans son dernier travail (15), elle s'intéresse aux symptômes psychotiques, au tempérament pré morbide, à l'histoire familiale, aux co-morbidités neuropsychiatriques, aux abus d'alcool et autres substances. Les résultats 8 ne montrent aucune différence quant à ces données, entre manie pure et manie mixte, que ce soit avec une définition restrictive (DSM-III) ou des critères élargis. Ces résultats rejoignent les données générales de la littérature concernant les états mixtes maniaques comparés aux états maniaques purs (16-32), qui montrent à propos des caractéristiques psychotiques, du tempérament pré morbide, des antécédents familiaux, des co-morbidités neuropsychiatriques, des abus de substances, des résultats globalement contradictoires. Par contre d'autres données donnent des résultats plus homogènes : par rapport aux maniaques purs, les maniaques mixtes semblent être plus souvent des femmes (16; 17; 33), ont un début plus précoce de leur trouble bipolaire (18; 19), sont plus jeunes (15; 20-22), ont un risque suicidaire plus élevé (23; 24) et ont tendance à avoir une évolution de l'épisode aigu plus longue et plus difficile (22; 23; 25- 30). Ils auraient aussi une incidence plus élevée du trouble panique (31). La comparaison de l'efficacité de différents traitements semble montrer que la manie pure répond mieux au lithium (16; 20; 26; 27). Quant à l'incidence de la manie mixte, elle varie beaucoup (5 à 70% des patients maniaques) d'une étude à l'autre (14; 22; 32; 34-36), en raison de la diversité des définitions et des méthodes d'évaluation des patients, comme évoqué plus haut.

La dépression mixte a été l'objet de beaucoup moins d'attention que la manie mixte.

Seules deux études parues juste avant la publication de mon article, mais après l'élaboration et la réalisation du projet de recherche, comparent dépression mixte et dépression pure. L'étude réalisée à Pise sur les patients bipolaires de type I (12) montre que les patients dépressifs mixtes ont des caractéristiques cliniques très similaires aux patients mixtes selon le DSM-IIIR : moins d'épisodes maniaques ou dépressifs, moins d'hospitalisations et plus de symptômes psychotiques que les patients dépressifs purs. Selon l'étude de Sato à Munich (37), les dépressifs mixtes unipolaires ressemblent plus aux dépressifs bipolaires qu'aux dépressifs purs quant aux variables de l'âge, de la tendance suicidaire et des antécédents familiaux de trouble bipolaire.

Comment sommes-nous arrivés à faire une étude comparative sur la dépression mixte ? Dans l'unité des Lilas, dépendant alors de la Clinique de Psychiatrie II, Département de psychiatrie, Hôpitaux Universitaires de Genève, où je travaillais à l'époque, nous étions très fréquemment confrontés au problème de dépression mixte. Cette unité était constitué de 25 lits pour moyens séjours (plusieurs semaines généralement) de patients dépressifs principalement, bipolaires ou non. Nous observions un nombre important de patients ne semblant pas supporter les antidépresseurs, ceux-ci aggravant les troubles du sommeil et l'état 9 dépressif, rendant l'humeur plus labile, rendant les patients plus agités, tendus, irritables, et parfois plus suicidaires. Ces états apparaissaient en cours d'hospitalisation dans notre service, ou étaient déjà présents à l'admission. Ils constituaient alors parfois le motif d'admission.

D'autres fois, l'état mixte dépressif n'était pas identifié et l'hospitalisation était motivée par la résistance au traitement. Enfin ces états mixtes dépressifs étaient parfois aussi observés chez des patients déprimés qui n'avaient aucun traitement antidépresseur. Les échelles d'autoévaluation pluriquotidienne de l'humeur avec lesquelles l'unité avait l'habitude de travailler montraient souvent des fluctuations diurnes importantes. Cela nous faisait penser aux cycles ultra-rapides induits par des anti-dépresseurs et décrits dans la littérature (38), ces états se rapprochant des états mixtes. Nous observâmes effectivement que des symptômes maniaques étaient présents et que ces états s'apparentaient à la manie dépressive ou à la dépression excitée de Kraepelin, états mixtes fondamentaux qu'il a décrits en 1899 (5). Ils s'apparentaient aussi aux dépressions agitées décrites dans la littérature, et surtout aux états mixtes décrits par Koukopoulos en 1992 (6). Parmi les plaintes spontanées des patients, on note le plus fréquemment, comme le relève Koukopoulos, une tension interne difficilement supportable, une irritabilité inhabituelle, un sentiment plus intense de désespoir, une impression d'exploser, une tachypsychie subjective, une intolérance aux bruits et à la lumière, des insomnies, des idées et des impulsions de suicide. On observe aussi une agitation psychomotrice, un sommeil haché, une expression dramatique de la souffrance, une irritabilité accrue, une logorrhée, une labilité de l'humeur, et parfois des tentatives de suicide répétées. A l'extrême, certains de ces états étaient si spectaculaires et difficiles à comprendre qu'ils faisaient penser à des crises d'hystérie ou des décompensations psychotiques. Malgré un traitement sédatif et anxiolytique adéquat, ils ne cédaient que lors de la diminution ou de l' arrêt de l'antidépresseur, en association avec l'administration de neuroleptiques et de stabilisateurs de l'humeur. En cas d'arrêt, une réintroduction de l'antidépresseur était parfois faite dans un second temps, sous couvert d'un stabilisateur de l'humeur. Bien entendu, cela semblait prolonger le séjour hospitalier.

 

LIRE LA SUITE DE L'ARTICLE DE 37 PAGES A L'ADRESSE SUIVANTE :

http://www.unige.ch/cyberdocuments/theses2005/DucreyS/these.pdf

 



01/12/2007
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