Vers une clinique globale des tempéraments
Vers une clinique globale des tempéraments
1/01/2010
Auteur : Dr Hantouche
Bipo / Cyclo > Bipolarité adulte > Tempéraments
Retour vers la prophétie de Galien : besoin de ré-intégrer les tempéraments dans la clinique des troubles de lʼhumeur
Description d’un Tempérament
Un tempérament au sein du comportement humain peut être conçu comme un mode spécifique et relativement constant qui régit et traduit les émotions, les expressions, les interactions avec autrui ainsi que la réactivité à l’environnement.
Selon Warson, 2000, le tempérament émerge comme une prédisposition générale qui détermine des traits émotionnels et affectifs variés à côté d’autres caractéristiques cognitives et comportementales associées. Il est par ailleurs admis que les tempéraments soient en grande partie héritables ou l’expression la plus proche des gènes.
Pour Akiskal, le tempérament est défini par les dispositions basiques liées aux caractéristiques biologiques des émotions, des affects, des motivations et des niveaux d’énergie, dʼactivité.
L’idée des tempéraments remonte à l’Antiquité, à Hippocrate qui décrivait les styles émotionnels et affectifs selon la nature des fluides et des vomissures. L’approche constitutionnelle dérive de l’ancienne théorie "humorale". A l’époque, on pensait que le caractère dépendait surtout du type de fluide prédominant dans l’organisme.
- Le Mélancolique = Bile noire = Sombre, pessimiste = tempérament Dépressif
- Le Lymphatique = Lymphe = Lent, froid = actuellement non représenté (Tempérament absent dans les études contemporaines, probablement du fait que ce tempérament est rarement lié aux troubles psychiatriques, donc peu étudié)
- Le Bilieux = Bile jaune = Coléreux, amer = Tempérament Irritable
- Le Sanguin = Sang Vif, émotif = tempérament Hyperthymique
- = Mélange des 4 fluides = Instable = Tempérament Cyclothymique (pas de correspondance dans la théorie humorale ancienne.
Le tempérament cyclothymique
Le tempérament cyclothymique correspond à un mélange des traits mélancoliques, sanguins et bilieux ou à un mélange de traits émotionnels et énergétiques instables et faibles. Selon moi, ce tempérament est déjà un trouble en soi, assez particulier qu’il détermine une bipolarité à part.
Comment utiliser les tempéraments en psychiatrie ?
Depuis la Révolution française et l’esprit des Lumières, la théorie des tempéraments a été délaissée au moment où se répandait la théorie inverse selon laquelle tout le monde naît à égalité, mais c’est l’éducation et le milieu qui détermine notre avenir et notre personnalité.
Ce débat entre l’inné (tempérament) et l’acquis (milieu) est éternel. Toutefois, la psychanalyse a adopté la théorie de l’acquis et rejeté massivement celle des tempéraments. Est-ce une explication logique au sujet de la négligence de la cyclothymie depuis le début et tout au long du 20ème siècle ?
D’autres pensent que la théorie des tempéraments a conduit à l’atavisme, à savoir que les qualités d’un enfant proviennent de sa lignée (ou son lignage). Les suites de la deuxième guerre mondiale a certainement influencé le rejet massif de l’hypothèse des tempéraments ou la psychologie liée à l’atavisme !
A l’époque où dominait la psychanalyse dominait la pensée nord-américaine (année 70/80), certains chercheurs ont adopté une attitude à contre-courant et développé la théorie moderne des tempéraments.
On peut citer Michael Posner, Mary Rothbart, Jerome Kagan, Thomas et Chess... L’idée défendue à travers les tempéraments, c’est que nous ne sommes pas tous identiques. Dans ces travaux, Rothbarth a classé les comportements des bébés en 4 catégories : - Affects négatifs (angoisse, détresse, capacité d’apaisement)
- Niveau d’activité
- Éveil et l’attention orientée
- Approche / retrait
Rothbart a pu donc observé des différences individuelles originelles (ou basiques), c’est-à-dire les enfants naissent avec des caractéristiques comportementales et émotionnelles propres.
De même, Thomas et Chess (1977) ont développé neuf catégories de tempérament reconnaissables chez les nourrissons et les très jeunes enfants.
Ce sont :- Niveau d’activité: La part d’activité motrice dans le comportement de l’enfant, par exemple attraper, ramper, marcher.
- Rythmicité(régularité) : La prévisibilité de n’importe quelle fonction.
- Approche: Les réactions positives à des stimuli nouveaux (Pour Thomas et Chess, le retrait et les réponses négatives représentent l’autre extrémité du même continuum).
- Adaptabilité: La facilité avec laquelle les réactions sont modifiées dans une direction désirée.
- Seuil de réactivité: Le niveau d’intensité nécessaire pour qu’une stimulation provoque une réponse perceptible ou, en d’autres mots, le niveau de sensibilité.
- Intensité de réaction: Le niveau d’énergie d’une réaction, indépendamment de sa qualité ou sa direction.
- Qualité d’humeur: La quantité de réaction émotionnelle positive ou négative.
- Distractivité : La sensibilité aux stimuli environnementaux accessoires conduisant à modifier la direction du comportement en cours.
- Durée d’attention/Persistance: La capacité à maintenir son attention dans la durée et à continuer à s’occuper de ce qui est en cours même face à des obstacles (vigilance).
On peut considérer chaque tempérament quand il est fortement présent comme un moyen prédominant d’organiser l’attention (par exemple, pour "niveau d’activité", une activité importante, beaucoup d’efforts pour faire).
Les mêmes auteurs ont introduit le concept de "Goodness of fit" pour souligner l’importance des tempéraments et les ajustements réciproques entre les tempéraments et l’environnement du sujet. La maladie naît de la "Poorness of fit". Nous verrons dans le chapitre "implications thérapeutiques", l’importance de cette théorie.
Retour donc vers Hippocrate, Galien, Theophrastus
Une époque où l’on pensait que la personnalité est déterminée par une mélange tempérée d’humeurs et de fluides.
C’est la théorie des quatre fluides : "Une théorie qui expliquait les grandes différences des comportements chez les jeunes enfants".
Donc besoin d’une sémiologie qui englobe les symptômes, les épisodes ainsi que le tempérament basique du sujet, pour mieux comprendre et classer les troubles de l’humeur.
Nous verrons que pour la Cyclothymie, la clinique des tempéraments est fondamentale et sans elle, la définition de la cyclothymie est incomplète et confuse comme dans le DSM-IV.
Kraepelin (1921) tout comme Kretschmer (1936) ont insisté sur la nécessité de tenir compte des tempéraments affectifs (ou prédispositions émotionnelles basiques) comme une diathèse de la maladie maniaco-dépressive. Ce lien sert d’une importance pivotale dans la longue chaîne des dispositions à la maladie (Goodwin & Jamison, 1990). Ce lien est représenté par 4 types de tempéraments selon Kraepelin (1921) :- 1)un tempérament dépressif caractérisé par une tendance au stress émotionnel, à être sombre et lugubre,
- 2)un tempérament maniaque ou Hyperthymique illustré comme superficiel, desultory, incohérent associé à une humeur en permanence joviale, exaltée, confiant et imprudent,
- 3)un tempérament irritable marquée par une mauvaise humeur et une forme fruste du tempérament maniaque,
- 4)un tempérament cyclothymique défini par des fluctuations régulières et fréquentes de l’état psychique entre le pôle maniaque et le pôle dépressif. Il est possible que ce tempérament soit aussi le résultat d’un mélange des trois premiers.
C’est à Kraepelin que l’on doit l’hypothèse selon laquelle les épisodes maniaques et dépressifs naissent ou se développent à partir d’un tempérament basique déjà existant et qui fournit l’évolution cyclique du trouble (Goodwin & Jamison, 1990).
Dans la même optique, Akiskal (1981 & 1994) a soutenu les conceptions classiques de Kraepelin, à savoir que les 4 tempéraments servent de fondations basiques pour le développement des troubles affectifs. Depuis que le tempérament cyclothymique est considéré comme un facteur de risque pour le trouble BP-II, cette opinion sera défendue tout au long de cet essai.
Il est aussi logique de parler de sujets "à risque de cyclothymie".
Quand il n’y a aucune demande de soins ni d’épisodes repérables. Cette configuration clinique existe mais elle est rare chez les patients consultant en psychiatrie. C’est avec cette configuration que l’on se pose la question "faut-il traiter ou pas ?". Traiter, c’est dans le sens de prévenir les complications de la cyclothymie.