Bipolarité : un secret de famille

 

 

Bipolarité : un secret de famille

16/09/2010

Témoignages > Information-Psychoéducation-Découverte du diagnostic

Chez moi, la bipolarité, c’est un secret de famille.
Mais pas au sens où on l’entend habituellement.

C’est une chose qu’aucun d’entre ses membres pourtant touchés ne sait, à part moi. Je ne le sais pourtant dans son acception pleine et entière que depuis 6 mois environ.

 


J’ai 35 ans, une grande fille que j’ai eue à 18 ans, lors d’une dépression que je n’ai pas vue, de mon petit ami de lycée de l’époque, qui ne m’aimait pas et qui a tenu auprès de sa fille et de moi un rôle obscur dans lequel il n’était ni père ni compagnon ni présent, sans avoir l’honnêteté non plus d’être absent. Par manque d’estime de moi, j’ai accepté ce flou relationnel pendant 10 ans, avec des périodes de plus grande intolérance â la situation pendant les phases hautes que je connaissais mais dont j’ignorais la cause et des périodes d’acceptation de la situation pourtant intenable pendant les périodes basses. Comme tout le monde dans ces phases-lâ , j’étais la grande coupable.


Pourquoi je ne voyais pas ma dépression ? Parce que ma mère avait été diagnostiquée en dépression juste après le divorce d’avec mon père, lorsque j’avais 16 ans. La dépressive, c’était donc elle : elle le répétait à longueur de journée ! Là, elle ne s’était plus occupée de moi, chacune vivant de son côté, elle ramassant des hommes inconnus dans la rue avec qui elle nous faisait vivre par mésestime de soi et par peur pathologique de la solitude. Il est possible de vivre abandonnée tout en étant avec quelqu’un. C’est ce qui a entraîné, je pense, ma dépression de l’époque. Et puis, les dépressions, c’est facile de ne pas les voir?


Ma mère, je ne l’ai connue qu’avec de périodiques crises de fureur qui montaient comme un soufflé, duraient plusieurs heures ou plusieurs jours avec insultes, voix altérées, paroles destructrices, exposition de tout ce que je lui avais confié quand elle semblait normale pour me railler et me détruire et quand c’était fini, oubli. Ma mère, de par sa maladie, a fini par détruire toutes les personnes avec qui elle a vécu à mesure que la maladie a progressé : mon père, d’abord, que comme toute femme qui a un manque d’estime de soi et qui a été traumatisée, elle avait très mal choisi, son frère, sans doute bipolaire lui aussi, dépressif et instable, incapable de travailler en entreprise, de faire valoir son droit mais avec un talent artistique indéniable et une étrange capacité à s’automutiler quand il est stressé. Ma mère, j’ai vécu avec elle jusqu’à l’âge de 32 ans, à cause de mon instabilité financière et mon incapacité à penser que je méritais quelque chose de bien. Et pourtant, j’ai fait d’excellentes études puisque je suis allée jusqu’en DEA dans une famille où on n’allait pas plus loin que le CAP, où on avait prévu que je suive les traces de ma mère, secrétaire. C’est à ces études que je dois, je crois, d’avoir rassemblé les pièces du grand puzzle familial?


Il est possible d’être bipolaire dans toute une famille sans que personne ne le sache. Personne n’a su pourquoi ma tante, qui s’est suicidée lors d’une dépression, au jour anniversaire du mariage de ses parents, une couronne de mariée sur la tête, avait fait ce geste. Ma mère m’avait raconté qu’elle s’était promenée toute nue dans sa ville et en avait conclu que c’était pour ennuyer ses parents. Aujourd’hui je pense que c’était une phase d’hypomanie ou de manie, mais à l’époque, je ne le savais pas, et ma famille l’ignore encore. Et pourtant ? Pourtant, avec ses capacités intellectuelles, elle était allée loin en études et faisait la fierté de ses parents, jusqu’à ce qu’elle rencontre mai 68. Un bipolaire, c’est instable et rageur, parfois : si un événement violent rencontre une de leur phase favorable, on ne s’étonne pas de les voir céder à l’appel de la Révolution ? pour la trouver inutile et en crever le lendemain. Elle creva donc, de solitude : choisir des hommes instables, être soi-même instable, être rejeté par ses parents, ne pas avoir fait d’enfants et être en dépression, ça aide à en finir. Et les autres ? Instables aussi. Conflits avec autrui, compagnons, conjoints, patrons, propos haineux, paranoïa, actes et propos subversifs associés à une situation financière précaire sont le lot des membres de ma famille.


Et ces autres suicidés dont j’ai entendus parler dans la famille, d’où venaient-ils ? Pourquoi une telle concentration de suicidés et d’anarchistes dans une même famille ? Les réponses, je les ai eues plus tard. Au début, je n’avais qu’un puzzle.


On peut même faire une crise d’hypomanie pendant 5 à 6 mois, à vivre à 500 à l’heure, à dormir 4 heures par nuit, raisonner comme Dieu pourrait le faire et se croire invincible comme lui, comprendre que c’est anormal, chercher, lire une information qui vous donne le nom de votre maladie sans pour autant rien faire. Il suffit de lire : "Psychose" et de faire le raisonnement suivant : "Une psychose, c’est une maladie dont on ne se rend pas compte. Je m’en suis rendue compte, ce n’est donc plus une psychose, j’ai donc réussi â maîtriser la chose." Si c’était si simple ! Il suffit aussi de venir d’une famille qui porte sa maladie mentale comme un fantôme hante une maison : 1000 signes sont là, mais personne ne les voit et donc personne ne fait rien. Et quand vous vivez une dépression, bah ! C’est comme votre mère : une dépression sans autre cause qu’elle-même !


J’ai passé une vie ainsi. J’ai aussi passé une vie à ne plus croire à l’amour tout en le désirant. Est-il besoin de dire que comme ma mère, j’ai vécu l’instabilité relationnelle des personnes qui manquent d’estime pour elles-mêmes et se mettent avec les personnes qui ne leur faut pas ? Après avoir perdu 10 ans de relation crasse avec le père de ma fille, je me suis mise naturellement à détester les hommes. Puis je me suis dit que c’était trop absolu comme raisonnement pour être normal et sain, et j’ai accepté de regarder en face et de reconnaître les hommes qui étaient vraiment bien. J’en ai reconnu un dans un supérieur hiérarchique, bon époux et bon père, et un autre dans le frère d’une amie, en couple lui aussi. J’ai cherché à m’informer sur les relations hommes-femmes, ai compris l’ambivalence des rapports humains, les notions de sujet et d’objet, la toute-puissance du psychologique dans les rapports amoureux, la mise en place des mêmes erreurs et la recherche du même partenaire dans les nombreux que nous pouvons avoir pourtant, tant que nous n’avons pas compris certaines choses. Et enfin j’ai compris la nécessité d’une éthique à respecter dans les relations pour vivre sainement. C’est pas mal, non ?


Et bien non. Quand vous êtes cyclothymique, hélas, ce raisonnement pourtant sage ne sert à rien. Le frère de votre amie que vous trouviez si bien, qui n’était plus en couple, dont vous étiez amoureuse sans le dire et qui est tombé amoureux de vous, vous vivez enfin avec. Vous vous étiez juré que si vous étiez aimée, vous sauriez le reconnaître et conserver la relation mais ça ne marche pas comme ça.


Si une amie mon avait raconté comme son histoire ce que je vivais, j’aurais pu voir, objectivement que l’amour était lâ , que la situation était idéale. Les cyclothymiques comprennent vite et bien. Mais dès qu’il s’agit de moi, ce n’est pas aussi rose : tout va mal finir, il est avec moi par pis-aller, il en aime, il en aimera une autre dans peu de temps, c’est sûr ! Il m’a mis une bague au doigt sans contrat de mariage, sa famille nous a offert un magnifique appartement, mon amoureux me donne toutes les preuves de son amour, ce qui m’a conduite d’ailleurs à accepter la relation alors que j’étais si méfiante. J’y crois un instant, je souris ou je pleure selon ce qui s’est débloqué, et le lendemain, telle Pénélope, la tapisserie de ma confiance s’est défaite dans la nuit. Crises, doutes, larmes, qui alternent avec des surexcitations, des envies d’aller partout?surtout pour qu’il ne se rende pas compte qu’il s’ennuie avec moi, car bientôt, il le saura ! Attendre les week-end et les vacances avec lui dans l’angoisse car il va s’ennuyer. Le sur-occuper pour passer inaperçue, pour que mon vide intérieur (alors que personne n’écoute plus de musique que moi, ne lit plus de livres que moi, ni ne connaît plus les musées, les lieux insolites, les magasins à la mode, les églises, etc?) et que ma médiocrité ne lui apparaisse pas?


Je voyais tout en noir, j’étais enceinte et alors que c’est une bénédiction de faire un enfant avec une personne qu’on aime autant qu’elle nous aime, dans des circonstances favorables ( prof à temps partiel dans 2 établissements pour avoir assez de sous sans voir trop de monde, ce qui m’évite conflits, crises de nerfs, dépressions et fournit un cadre de travail stable au coeur de l’instabilité ), je trouvais le moyen de penser que faire un enfant alors que j’allais bientôt mourir dans la misère, c’était une folie. D’autres fois, je pensais que inconsciemment, avec tout ce que j’avais vécu avec ma mère qui ne voulait pas d’enfants, j’allais nuire à votre bébé et qu’il allait mourir, de ce fait, dans mon ventre. Je pensais à l’intervention pour extraire le foetus mort si souvent ! Je pensais aussi que rien ne justifiait mon existence, que je nuisais â mes enfants et qu’ils seraient mieux avec une autre mère ? Et des horreurs à mon propos, j’y pensais si souvent que je n’arrivais même plus â faire les tâches les plus insignifiantes et que mon sommeil était perturbé. Mais tout cela s’expliquait : les femmes enceintes ont des troubles du sommeil, tout est plus difficile dans cette période-lâ , et les idées noires, elles sont dues à la vie dure que j’avais eue et qui m’avait marquée à vie. C’était ça, ma façon de voir la vie.


Et puis un jour, mon beau-père me vexe. C’est si facile de me vexer, de me blesser, comme pour n’importe quel bipolaire, si facile que ni moi ni eux ne savent comment on peut s’y prendre ni ce que ça va entraîner : du désespoir ou de la fierté. Après une nuit d’angoisse, c’est la fierté qui est apparue. ? Mais qui est-il pour me dire cela ? ? Et une chose incroyable est survenue : les idées de mort d’abandon, de déchéance ne me viennent plus. Et soudain, je comprends : ce n’est pas moi qui pensais. Je vivais une dépressivité depuis des années que je n’avais pas reconnue, et c’est elle qui me faisait penser ces choses. J’ai fait passer une psychose à une névrose ? Tu parles ! Je m’étais encore plus enfoncée dans la maladie que je ne l’avais jamais fait ! J’ai décidé de l’avouer immédiatement, de m’inscrire sur un forum de bipolaires pour accompagner ma prise de conscience et j’ai lu des ouvrages sur le sujet. Je savais qu’il y avait un traitement qui pouvait être lourd mais j’en ai accepté la nécessité, même si ce fut avec angoisse, mais j’avais l’impression d’avoir passé tellement de temps dans l’aveuglement et la souffrance qu’apprendre qu’on pouvait régler ça, que je cesserais peut-être d’aller psychologiquement à ma perte et de ne pas goûter le bonheur que la vie m’avait pourtant offert par manque d’estime de moi était un bel espoir ! Car je voyais bien que chaque pensée qui me susurrait à l’oreille la nécessité de ma mort me conduisait sur une pente où je risquais, un jour, certainement, de franchir le pas avec le plus grand naturel, le terrain ayant été préparé pendant tant d’années ?


Je suis allée voir mon généraliste et lui ai raconté pour la première fois mes hypomanies : elle m’a fait une lettre pour un psychiatre.


Mais quand celui-ci me reçut, il opposa à ce que je lui racontais, et ce sans m’écouter, des cas de bipolaires bien plus graves que le mien, qui n’existait certainement pas, et si c’était le cas, il ne nécessitait sans doute pas de traitement. J’étais consternée ! J’avais reproché à mon mari son déni, pour me retrouver face à un psychiatre qui ne voulait pas reconnaître mon trouble. Pourtant, je savais que si je ne faisais rien, les hypomanies et les dépressions reviendraient, qui menaceraient ce bonheur si durement acquis et en lequel je n’avais confiance que quand je raisonnais mais que je ne parvenais pas à ressentir. Je voyais le problème, je voyais ce qui me manquait mais je savais aussi que je ne pourrais pas l’obtenir sans l’aide appropriée. Mais si même celle-ci m’était refusée, au nom de troubles de l’humeur plus graves que les miens, je risquais de gâcher ma vie de couple et celle des mes enfants sous le prétexte que je ne mérite pas l’internement..


Le hasard voulut que juste après le rendez-vous du psychiatre, je lisais le livre du Dr Hantouche et de Régis Blain : "La cyclothymie pour le pire et pour le meilleur." et je tombai sur un passage où le docteur Hantouche expliquait ce que j’avais vécu chez le psychiatre : les psychiatres ne reconnaissent que le trouble BPI, mais pas la bipolarité atténuée. Comment ne pas reconnaître en celui qui écrit ce que je vis et pourquoi je le vis, celui qui m’aidera ? Convaincue que c’est là que je trouverais de l’aide, je pris les références du CTAH et je pris rendez-vous. Difficile de ne pas reconnaître une cyclothymique en quelqu’un qui a eu des phases d’hypomanie, de dépressions franches et de dépressivités plus discrètes ! Il fallut 1 séance pour me diagnostiquer ! L’autre psychiatre m’attend toujours pour pouvoir rendre son verdict, dont j’ignore comment il aurait pu le rendre puisqu’il n’écoutait pas ce que j’avais à lui dire !


Depuis que je suis traitée, je ne suis plus à 300 à l’heure, l’insécurité ne m’est plus si naturelle et les migraines elles-mêmes ont majoritairement disparu. La fatigue incompréhensible, qui me semblait si normale avant, s’est transformée en de l’énergie au long cours, disponible, intrinsèque. Dès la première prise, ma main s’est desserrée : je ne savais même pas que j’étais si tendue. J’ai cru que j’allais passer mon temps à dormir - comme on voit dans les films ces malades mentaux assommés par les tranquillisants - mais ça n’a pas été le cas. Aucun effet secondaire, à ma grande surprise, n’est apparu, alors que j’ai beaucoup d’allergies.


Je commence à avoir confiance en l’avenir, moi qui suis plus devenue prof par le hasard des postes qui se présentaient que comme personne se sentant capable et digne de guider des enfants ou des adolescents. Je ne me jette plus dans les relations amicales où je cherche reconnaissance, où moi-même j’engendre le conflit, où je m’attache très vite à de nouvelles personnes qui ne me conviennent pas et où je romps très vite, consternée par les gens dont, par image dégradée de moi, je suis capable de m’entourer. Et pourtant, je ne suis qu’à environ 3 mois de traitement, et je sais que les doses doivent être augmentées


J’imagine que je dois beaucoup au fait d’avoir le sentiment d’avoir perdu tant de temps à subir et à faire subir sans comprendre et d’avoir ensuite compris si tardivement mais en voulant assumer pleinement mon trouble, le fait d’accepter un traitement au long cours et des séances de psychothérapie qui me font baisser mon humeur à chaque fois. Je tiens un cahier de l’humeur et je me suis basée sur le livre ? Cyclothymie : 7 clés pour retrouver le contrôle de soi "pour essayer de comprendre ce qui faisait remonter mon humeur" ayant plus une tendance à la dépression qu’à l’hypomanie ? et appliquer ces moyens pour piloter le trouble.


J’ai trop voulu savoir la vérité pour la refuser aujourd’hui. Je sais trop ce que c’est que des gens qui ne veulent pas voir leur trouble, le justifiant d’un négligent : "C’est mon caractère, il faut me prendre comme je suis !" que j’ai tant entendu dans ma famille et qui justifiait toutes les ignominies.


Quelquefois, quand je vais bien, la maladie tente de se faire oublier, et je me rappelle tardivement que je dois prendre mon traitement. C’est qu’il n’est pas facile d’accepter que lorsque je suis presque normale, cela ne coule pas de source, ce n’est pas une évidence, que ça se gagne avec des médicaments. Mais ayant compris le phénomène, nous avons mis en place, avec mon mari, des moyens pour que cela ne dure pas, et la première est de reconnaître qu’on ne change pas son code génétique : oui, c’est possible d’aller mieux, mais non, ça ne se fera pas sans traitement. Faire le deuil d’une normalité qui est chez moi comme chez les autres bipolaires, atténués ou non, inaccessible le plus souvent, sans le traitement est la première nécessité pour induire le changement, je crois. Je reconnais aussi que pour vouloir changer, il faut prendre conscience de ce qu’on a souffert et qu’il est possible que ça cesse.


Je suis heureuse : je peux être traitée et projeter dans un avenir dont je ne sais rien, la perspective de me rencontrer transformée, plus saine et heureuse que je ne le fus jamais, sans perdre mes capacités mentales. Je songe à ma tante qui n’a jamais su, et qui s’est suicidée, sans jamais avoir su que c’était possible?



09/05/2013
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