Cyclothymique ou borderline ?

 

Cyclothymique ou borderline ?

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Le sujet est récurrent mais la question est loin d'être claire dans la tête de nombre de psychiatres qui continuent à nous coller allègrement l'étiquette de borderline quand ils devraient penser à la cyclothymie.

C'est d'autant plus dommageable pour nous que la cyclothymie est de loin la forme de bipolarité la plus répandue et que contrairement au trouble borderline le trouble cyclothymique peut se voir considérablement amélioré par un traitement médicamenteux adéquat.Alors que le trouble borderline est réputé quasi insoignable et ne relevant que de la seule thérapie.

Malheureusement, tant que nos chers psys ne seront pas mieux formés, ils continueront à faire de gros dégats dans nos rangs.

Pour ne plus nous laisser faire, lisons attentivement l'étude de cas proposée par Caline Majdalani, psychologue au CTAH (centre des troubles anxieux et de l'humeur de Paris). 

 

La perception du monde, de soi et des autres, les émotions, le sens que nous attribuons aux évènements, les comportements que nous adoptons sont tributaires de notre humeur.

Caroline est suivie en psychanalyse depuis 3 ans par un psychiatre, quand je l’ai reçue la première fois.

Elle est sous médication depuis environ 3 ans (AD et anxiolytiques). Elle a 30 ans, elle est célibataire décrivant des histoires amoureuses chaotiques et travaille comme assistante juridique dans un cabinet d’avocat de grande renommée. Son bilan psychologique, effectué en une séance, nous permet de mettre en évidence une symptomatologie centrée autour d’un trouble cyclothymique.

L’histoire de son trouble de l’humeur se décline sous la forme ci-dessous :

Un trouble dysthymique principalement caractérisé par une humeur triste et un isolement social, a débuté vers l’âge de 18 ans, suite à une première séparation avec la fratrie et le père (la patiente s’occupait de ces sœurs depuis le départ de la mère). Il a duré deux ans et a entraîné une tentative de suicide médicamenteuse. La patiente consulte sciemment plusieurs généralistes, leur décrivant une légère humeur dépressive accompagnée de fatigue, dans l’objectif de récolter plusieurs ordonnances. Il y a un mois demi, suite à une séparation amoureuse, la patiente a présenté un épisode dépressif majeur d’intensité sévère entraînant un arrêt maladie de 3 semaines. D’une durée de 2 semaines, il est principalement caractérisé par une humeur très triste et des idées noires. Il est suivi par un micro virage hypomaniaque (d’une durée de 2 jours) avec euphorie, optimisme exagérée, majoration de l’énergie, de la libido et de l’activité sociale, réduction du besoin de sommeil sans fatigue ainsi qu’une accélération de l’activité mentale

Caroline présente des variations thymiques qui deviennent ingérables avec le temps, d’autant plus que depuis deux ans notamment, elle relate des épisodes mixtes brefs (d’un jour et demi), avec humeur dépressive, perte d’intérêt pour les activités de la vie de tous les jours, baisse de l’estime de soi, pensées encombrées, tension physique et automutilations (au rasoir).

Elle a toujours connu des fluctuations d’humeur, confirmé par le score élevé au questionnaire de tempérament cyclothymique (14/21), qui sont devenues de plus en plus marquées et source d’une souffrance importante ; elles sont par ailleurs de plus en plus, ponctuées de crises de colère. De plus, les cycles sont devenus, depuis un mois et demi, de plus en plus rapprochés, la patiente connaissant des oscillations d’humeur très marquées (à raison de 3 à 5 fois/jour) avec des amplitudes thymiques très importantes. De nature très intense émotionnellement, elle se décrit comme très émotive, très sensible (notamment à la critique et à l’injustice), très réactive à l’environnement voire impulsive par période ainsi qu’une peur exacerbée de l’abandon.
En outre, l’entretien révèle une anxiété de séparation très importante, étayé par le départ de la mère (divorce des parents), quand la patiente avait environ 10 ans.

De plus, même si Caroline ne présente pas de trouble du comportement alimentaire à proprement parler, elle décrit des symptômes tels qu’une perte pondérale importante, une peur obsédante de grossir ainsi qu’une estime de soi largement influencée par le poids depuis environ 5 ans.

Son histoire familiale révèle une mère décrite comme très instable au niveau de l’humeur et alcoolo-dépendante (depuis environ 10ans) ayant présenté plusieurs tentatives de suicide par intoxication médicamenteuse et un oncle maternel diagnostiqué Bipolaire.

Ainsi, l’ensemble du tableau clinique à symptomatologie dépressive vers l’âge de 15 ans, la dysthymie à l’âge de 18 ans, la résistance aux AD (5 modifications du traitement antidépresseur en moins d’un an !), le léger virage hypomaniaque, les courtes périodes mixtes, les crises de colères (où elle peut casser une porte vitrée ou donner des coups de poing dans le mur, qui font suite à une contrariété ou à une rupture de rythme ou un changement non prévu d’activités, les cycles thymiques de plus en plus rapides ainsi que les antécédents familiaux mettent en évidence un trouble cyclothymique

L’entretien psychologique des patients se déroule toujours en fonction de la formation du clinicien et des références théoriques auxquelles il adhère. Ceci est une donnée indéniable que l’on ne peut minimiser dans l’évaluation psychopathologique.
Si l’on se place du point de vue du fonctionnement psychique ou de la structure de l’individu (névrotique, psychotique ou borderline) les informations récoltées lors de l’anamnèse, leur interprétation, ou les questions posées ne s’orientent pas du tout de la même manière que si l’on se place du point de vue phénoménologique ou sémiologique. Autrement dit, on ne peut obtenir des informations précises et significatives sur l’histoire thymique d’un patient, si on ne connaît pas les troubles de l’humeur dans l’état de connaissance actuel : le spectre bipolaire dans ses différentes entités, et non pas seulement la psychose maniaco-dépressive ou la bipolarité type II (Alternance entre épisodes dépressifs et des épisodes hypomaniaques) et notamment le tempérament affectif (la référence aux traits endogènes qui sous-tendent au développement de la personnalité).

Revenons à l’histoire de Caroline. Elle a, par le passé, reçu le diagnostic d’Etat-limite ou de Borderline. En effet, elle pourrait répondre à plusieurs critères de ce dernier : labilité émotionnelle, impulsivité, automutilations, sentiment de vide, relation interpersonnelle conflictuelles, peur d’abandon, trouble alimentaire, trouble de l’identité etc, même dans sa dimension analytique (mécanismes de défense comme le clivage, angoisse d’abandon, relation anaclitique).

Or dans le travail thérapeutique, quel est l’avantage à établir un diagnostic sur la personnalité, d’autant plus que l’humeur est instable et que les symptômes borderline/cyclothymie se chevauchent ?

Non seulement c’est impossible, mais en plus, cela ouvre la voie à un égarement thérapeutique, sachant que l’objectif d’un diagnostic est de nous indiquer une voie spécifique à suivre. Passer à la trappe le trouble thymique, c’est passer à côté d’un traitement pharmacologique adapté et spécifique à la forme du trouble de l’humeur (il n’y a pas que le Lithuim et la Dépakote) et d’une psychothérapie également spécifique. Avec des patients comme Caroline, on ne peut faire fi d’un travail précis sur l’humeur, si on souhaite les aider. Se contenter d’explorer leur fonctionnement psychique, est à mon avis un manque de compétence. Quand on ne connaît pas en profondeur les problématiques thymiques, on peut très facilement confondre un clivage avec un changement d’humeur.


Cela peut paraître aberrant mais arrêtons-nous sur les propos de Caroline lors d’une séance très significative pour appréhender plus clairement cette possibilité :

« J’ai deux personnes en moi. La bonne Caro et la mauvaise Caro. La bonne a super confiance en elle, elle est joyeuse, agréable, active, super sociable, tout le monde l’adore ; alors que la mauvaise est triste, moche, méchante, ultra pessimiste, inhibée, lente et assez timide ». Après exploration, il s’est avéré que la bonne Caro correspondait à l’état hypomaniaque que connaissait Caroline et que la mauvaise à l’état dépressif. Il est très courant que les patients s’identifient à leurs humeurs. Ces deux états étaient bien intégrés au sein de la personnalité de Caroline. Elle manquait juste d’information au sujet de la cyclothymie et elle pensait « qu’elle devenait folle ».

Il est ainsi primordial d’apprendre à identifier ses émotions ainsi que leur cyclicité, à adapter son comportement et ses pensées en fonction de la variabilité de l’humeur pour mieux se réguler. Dans le diagnostic état-limite, on parle souvent d’une réactivité émotionnelle à l’environnement. Or avec Caroline, on se rend compte qu’elle réagit surtout à des variations neurochimiques, liées à une instabilité endogène, qui influence son comportement et son mode de fonctionnement

De plus, les situations difficiles à gérer pour Caroline évoluent quasiment toujours dans un contexte thymique :

  • Quand elle connaît une baisse de l’humeur, son sentiment d’insécurité affective est réactivée : elle est très frustrée, elle a peur d’être quittée, d’être rejetée, trahie ou trompée. Il est donc important de mettre en exergue et d’identifier le changement de l’humeur et le lier à la réactivation du schéma d’abandon. Ce n’est pas parce que la patiente se sent abandonnée qu’elle déprime mais parce qu’elle déprime, que sa sensibilité à l’abandon est activée ! Parce que dans une situation équivalente, si l’humeur est stable, le contexte n’est pas vécu et interprété de la même manière
  • Quand la patiente est dans un état dépressif, elle ressent un sentiment de vide qui ne survient quasi jamais quand l’humeur est stable. Ce sentiment peut être qui chronique quand le trouble thymique est chronique
  • Quand Caroline est dans un état mixte, elle s’automutile pour « faire sortir la tension et la souffrance intérieure insupportable »

D’une manière générale, la perception du monde, de soi et des autres, les émotions que nous ressentons, le sens que nous attribuons aux évènements qui nous arrivent ainsi que les comportements que nous adoptons sont tributaires de l’humeur. Imaginer une humeur changeante en permanence (à cause d’une prédisposition génétique à l’instabilité), elle aboutit inéluctablement à une identité instable. L’humeur, c’est le sol sur lequel nous évoluons, s’il est mouvant, il produit comme chez Caroline une identité un peu floue et tributaire de l’autre (cet autre qui paraît plus solide et plus fiable que soi) avec un passage d’un comportement extrême à un autre. A force d’avoir connu des états d’humeur ou soit elle est excitée, débordante de bonheur et d’énergie, avec une estime de soi mégalo, soit elle est démoralisée, très triste, elle a développé des comportements conséquents qui ont renforcé un manichéisme dans le mode de fonctionnement (tout ou rien/ noir ou blanc : soit je fais du sport tous les jours, soit je suis vautrée dans un canapé à ne rien faire durant toute ; soit je suis parfaite, soit je suis nulle.



13/05/2013
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