Troubles de la personalité schizoïde - Partie 2
La période ascensionnelle
La personnalité
Cycloïdes et schizoïdes
(Eugène Minkowski)
Kretschmer apporte plus de clarté dans cette dernière question. Il précise, en s'appuyant sur les antécédents personnels et familiaux des malades, deux constitutions psychopathiques cycloïde et schizoïde, qui correspondent aux deux grandes entités cliniques psychose maniaco-dépressive (ou cyclique, en raison de son évolution par accès) et schizophrénie. Il franchit, du reste, d'emblée la barrière entre le pathologique et le normal et décrit, dans ce dernier domaine, les cyclothymes et les schizothymes, qui, tout en étant des individus normaux, s'apparentent par leur façon d'être générale aux constitutions psychopathiques et aux psychoses dont il vient d'être question. Là encore les recherches sur l'hérédité viennent consolider ce lien de parenté psychologique. Deux rangées sont établies ainsi qui, en partant de deux psychoses bien déterminées et opposées l'une à l'autre et en passant par les constitutions psychopathiques, aboutissent à des caractères normaux. Chacune de ces deux rangées est dominée par un trait saillant propre à tous ses échelons.
Comportement bipolaire
Ce trait est bipolaire et c'est là aussi une particularité de première importance. Les deux réactions caractéristiques de la cyclothymie (cyclothymie prise ici au sens générique pour désigner toute cette rangée, de même que, plus loin, le terme de schizothymie) sont la gaieté et la tristesse. Le cyclothyme passe très facilement de l'une à l'autre; il oscille ainsi entre la gaieté, avec le besoin d'épanouissement qui l'accompagne, et la tristesse, avec la sensation pénible d'inhibition qu'elle engendre. Ces deux éléments se retrouvent en proportion variable chez tout individu de ce groupe. C'est la proportion diathésique ou le coefficient de l'humeur.
Comme le cyclothyme, le schizothyme se meut également entre deux pôles. Ces deux pôles sont ici l'hyperesthésie et l'anesthésie affectives. Ils déterminent la proportion psychoesthésique. Le schizothyme n'est pas forcément indifférent ou hyperesthésique, il peut être fort bien les deux à la fois. Le pôle hyperesthésique mérite d'être souligné particulièrement. Les schizophrènes avancés se comportent souvent en êtres entièrement indifférents, de sorte que pendant longtemps on a cru pouvoir parler d'une abolition réelle de l'affectivité chez eux. En fait, il existe dans leur psychisme des points sensibles, et lorsqu'on arrive à les atteindre, on peut déterminer chez eux des réactions intenses et parfois tout à fait adéquates; leur affectivité est seulement, comme toute leur vie mentale, autistique et c'est cet autisme qui s'exprime dans leur attitude habituelle, dans leur manque de contact avec la vie ambiante.
Ces mêmes particularités se retrouvent sous une forme atténuée chez le schizoïde et chez le schizothyme. Ainsi l'hyperesthésie du schizoïde a une teinte particulière et n'est pas de ce fait superposable entièrement à la constitution émotive de Dupré. Le schizoïde hypersensible cherche à mettre cette sensibilité à l'abri des heurts du monde extérieur, il se replie sur lui-même, se renferme, avec un certain sentiment d'orgueil hautain, dans sa tour d'ivoire et perd tout autant le contact avec l'ambiance que le schizoïde qui promène à travers le monde son désintérêt, sa nonchalance, sa froideur.
C'est la nuance qui compte ici avant tout, mais en psychologie la nuance, c'est souvent l'essentiel. Le cycloïde peut se mettre en colère, mais il explose et puis tout est bien à nouveau; le contact avec la vie n'a été rompu a aucun moment. Le schizoïde ne décolérera point. Il se monte la tête à lui-même, rumine sa colère intérieurement, en fait une "colère rentrée", n'arrive pas à liquider la situation, tandis que la vie suit son cours et progresse. Le schizoïde peut se montrer bon et compatissant, mais il le fera davantage par sentiment de devoir que par sentiment tout court; il lui manquera cette note chaude et cette spontanéité qui caractérisent toutes les manifestations du cycloïde.
Le schizoïde penchera ainsi tout naturellement vers les côtés intellectuels et rationnels de la vie mentale; il deviendra facilement doctrinaire à outrance, d'une rigidité inébranlable; et si au nom de la doctrine qu'il a adoptée, il peut arriver à réaliser quelque chose de grand, justement parce que rien ne le détournera de la ligne qu'il s'est tracée, il sera dénué de ce sentiment de limites et de mesure qui rend l'activité et les aspirations des cycloïdes infiniment souples, malléables et humaines.
Les "alliages"
La schizoïdie et la cycloïdie, du reste, ne s'excluent point Elles peuvent s'associer chez le même individu en proportions variables, comme le font également les dispositions affectives-actives de Delmas et de Boll. Elles forment alors ce que Kretschmer appelle des "alliages".
Ces alliages peuvent aussi bien être à la base du comportement d'individus normaux ou de psychopathes que se retrouver dans les psychoses (psychoses associées), dans lesquelles alors des symptômes maniaco-dépressifs et des symptômes schizophréniques voisinent côte à côte. Une analyse plus approfondie de la symptomatologie des psychoses devient possible ainsi, et en même temps ces associations, survenant à tous les échelons des deux rangées, démontrent que la cyclothymie et la schizothymie, tout en paraissant se comporter comme deux contraires, se complètent en fait, chacune ayant son rôle dans la vie.
Types morphologiques correspondants
Kretschmer, de plus, en se basant sur des recherches anthropométriques, attribue à chacune des deux rangées un type morphologique particulier. A la rangée cyclothymique correspond le type pycnique (de ramassé) qui dans l'ensemble est caractérisé par des lignes rondes, douces, harmonieuses; le teint est frais, rosé, le système osseux gracile, la musculature de même. A la schizothymie correspondent le type athlétique et le type asthénique qui, tous les deux, aussi bien en ce qui concerne le corps que le visage, sont dysharmonieux, durs, anguleux, dans leur aspect général. Cette dysharmonie s'exagère à tel point chez certains individus qu'elle leur confère un caractère nettement dysplasique et dégénératif.
L'existence du type pycnique dans la série cyclothymique a été confirmée par maints auteurs; il n'en a pas été de même pour les types physiques de la rangée schizothymique. Quoi qu'il en soit, les caractères morphologiques se sont trouvés introduits à nouveau aussi bien en psychiatrie que dans le chapitre des constitutions correspondantes, et cela en connexion étroite avec les propriétés psychologiques.
A la stérile opposition de l'organique et du psychologique vient se substituer ainsi la notion de l'unité organo-psychique, les mêmes particularités venant se manifester aussi bien sur le versant morphologique et biologique que sur le versant psychologique. D'autre part, l'existence d'un type morphologique, bien qu'il demande peut-être à être précisé encore, commun à chacune des deux rangées examinées ici, vient encore souligner davantage leur spécificité et confirmer en même temps, dans le domaine aussi bien de l'une que de l'autre, les liens de parenté établis entre les trois échelons.
Les réactions à l'ambiance
Pour ce qui est des mécanismes psychologiques, ce furent tout d'abord l'intériorisation (types introverti et extraverti de Jung) et la rêverie qui ont été considérés comme les mécanismes essentiels de la rangée schizothymique. Mais c'était donner à celle-ci une base trop étroite.
Le cycloïde peut être rêveur comme le schizoïde, il le sera seulement à sa façon, c'est-à-dire guidé toujours instinctivement par ce sentiment de mesure qui le maintient en contact avec la réalité; et le schizoïde rêveur n'est qu'une des variétés du comportement schizoïde en général, le schizoïde pouvant fort bien être un homme d'action. Mais, bien souvent alors, il heurtera les autres par la rigidité de cette activité et mettra l'accomplissement coûte que coûte de la décision prise au-dessus de toutes les influences nouvelles susceptibles de la modifier.
La schizoïdie et la cycloïdie ne s'attachent donc pas plus particulièrement à tel ou tel autre trait de caractère usuel, mais à la façon dont ce trait s'exprime et s'extériorise par rapport à la réalité ambiante; ils confèrent une teinte spéciale à toutes les réactions qui se dérouleront dans le cadre général ainsi donné.
La notion de syntonie
Bleuler, en remplaçant le terme de cycloïdie par celui de syntonie, a mis d'une façon encore plus nette en relief cet état de choses. Ce nouveau terme présente sur l'ancien l'avantage de souligner que l'essentiel pour toute la rangée cyclothymique n'est pas tant les oscillations entre des états contraires que la faculté de vibrer à l'unisson avec l'ambiance. Bleuler arrive à considérer schizoïdie et syntonie comme deux principes vitaux.
Les essais ultérieurs pour approfondir davantage la portée de ces deux principes mènent vers des phénomènes essentiels de la vie humaine. L'opposition de la rêverie et de l'extériorisation s'étant montrée insuffisante, ce sont des phénomènes comme la sympathie (au sens étymologique du mot) et la contemplation d'une part, et l'élan personnel, d'autre part, qui deviendront les prototypes de la syntonie et de la schizoïdie.
Dans les premiers se trouve réalisé le besoin profond de fusion intime et harmonieuse avec le devenir ambiant, tandis que le second marque la tendance à puiser en soi les sources de son activité, appelée, en postulant jusqu'à un certain point comme un écart entre le moi et le monde ambiant, à s'intégrer à ce monde en y laissant une empreinte personnelle. L'affirmation du moi en regard du monde et le besoin de se confondre avec lui, facteurs essentiels de la vie humaine, rendent plus compréhensive l'opposition de la schizoïdie et de la syntonie à laquelle a abouti dans ses recherches sur les constitutions l'école psychiatrique dont il vient d'être question.
Bien que suivant la même voie que la précédente, cette école aboutit à des résultats différents, Kretschmer tout d'abord maintient une corrélation étroite entre l'aspect physique et les traits saillants de caractère. De plus, sur le plan psychologique, la schizoïdie et la syntonie visent, non des tendances ou des fonctions isolées consacrées par l'usage courant, mais le cadre général dans lequel celles-ci se déroulent. Elles précisent ainsi des notions nouvelles qui viennent s'appuyer sur des facteurs essentiels conditionnant la structure générale de la vie humaine. Enfin, la bipolarité, propre à chaque constitution et incluse en elle, apporte un facteur dynamique sous forme de mouvement possible entre deux réactions opposées, toutes deux restant caractéristiques de la même attitude particulière à l'égard de l'ambiance.
L'épileptoïdie
Aux deux constitutions de Kretschmer vient s'ajouter une troisième. C'est l'épileptoïdie ou la glischroïdie (de visqueux) de Minkowska. Elle correspond a l'ensemble des troubles de nature épileptique. Des recherches généalogiques démontrent l'existence, a côté d'épilepsies symptomatiques, l'existence d'une épilepsie essentielle, dans l'étiologie de laquelle le facteur héréditaire joue un rôle incontestable et pour laquelle il y a lieu d'admettre une constitution spéciale.
Celle-ci comporte, comme les deux autres, deux pôles celui de la viscosité et du ralentissement (ou de contrainte, H. Wallon) affectivité concentrée et collante, amour des objets et de l'ordre, adhérence au sol natal, à la tradition, attachement à ce qui est stable, ralentissement dans le domaine intellectuel; celui des réactions explosives colères violentes, actes impulsifs, bien connus chez les épileptiques.
Entre ces deux pôles existe une relation d'ordre génétique, en ce sens que la viscosité des réactions étant la manifestation primitive, elle détermine une véritable stase, ou latence émotionnelle d'après Wallon, qui de nouveau mène à des décharges brusques et violentes, à de véritables explosions. Les deux pôles de la constitution épileptoïde ainsi que le mécanisme qui les relie se retrouve à la base de toutes les manifestations tant biologiques que mentales caractéristiques de l'épilepsie essentielle. La proportion des deux pôles est appelée proportion affectivo-accumulative. Un type morphologique spécial correspond, enfin, à la constitution épileptoïde; plutôt athlétique, ses signes distinctifs sont des contours carrés qui donnent à l'ensemble un aspect pesant et concentré; la peau du visage est rouge violacé.